N°132 – Comment avoir les 200 000 rénovateurs thermiques attendus en 2030 ?

De Simon YASPO et Lucas VERNEY,
Ingénieurs des mines

Pour atteindre la neutralité carbone, la rénovation de l’ensemble des bâtiments est un passage obligé.
Ce chantier hors-norme engendre dès aujourd’hui un appel d’air sans précédent sur l’emploi de la filière, puisque 200 000 rénovateurs thermiques supplémentaires sont attendus en 2030. Mais si le BTP recrute, il n’attire pas vraiment…
Nous explorons ici quelques pistes pour relever ce défi et éviter que l’emploi ne devienne le goulot d’étranglement de notre stratégie de rénovation.

Dessin de Véronique Deiss

La transition climatique demande des investissements massifs dans la quasi-totalité des secteurs économiques. Ils requièrent évidemment un financement, mais ils supposent aussi des cerveaux, des bras et des jambes pour les réaliser. Tous les scénarios prospectifs montrent que la transition climatique génère une augmentation nette de l’emploi. Encore faut-il y arriver.

Dans le secteur de la rénovation énergétique en particulier, les diverses estimations s’accordent sur une création nette de 200 000 Équivalents Temps-Plein (ETP) d’ici 2030, mais la tendance actuelle est loin d’être alignée avec l’objectif.

La rénovation énergétique, chantier du siècle

Le secteur du bâtiment consommait 44 % de l’énergie totale finale en France en 2019, énergie majoritairement utilisée pour le chauffage1. La rénovation énergétique permet, du point de vue micro-économique, de diminuer la facture énergétique des ménages, et du point de vue macro-économique, de réduire notre consommation énergétique, nos émissions de gaz à effet de serre, la tension sur le réseau électrique, et la balance commerciale française (qui tient pour partie de l’importation d’énergies fossiles).

D’autre part, les températures trop basses génèrent des problèmes d’humidité et de moisissures et l’exposition prolongée à ces températures inférieures contribue à l’apparition de maladies respiratoires et cardio-vasculaires. En cas de maladie, le coût social moyen est estimé à 131 000 € par individu affecté2, et on considère que ce coût intervient chaque année avec une probabilité de 5 % pour un logement très énergivore3.

Pour répondre à ce défi, la France a fixé plusieurs objectifs de rénovation énergétique très ambitieux. La loi climat et résilience vise ainsi l’éradication des passoires thermiques d’ici 2028 et la stratégie nationale bas-carbone prévoit 700 000 rénovations complètes par an à partir de 2030 (alors qu’on en dénombrait environ 50 000 en 2022).

Normes et subventions au secours de la rénovation

La stratégie française consiste aujourd’hui essentiellement à normer et à subventionner. La loi climat et résilience a introduit en 2021 de nombreuses obligations : audits énergétiques, interdictions de location et gels des loyers pour les logements les plus mal isolés.

Quatre mécanismes de subvention réduisent facialement le coût de la rénovation : le dispositif MaPrimeRénov’, les Certificats d’Economie d’Energie, la TVA à taux réduit de 5,5 % sur les travaux de rénovation, et l’éco-prêt à taux zéro pour les financer. En 2023, plus de 8 milliards d’euros étaient mobilisés par l’État pour aider les ménages à rénover leur logement.

Un défi sans précédent sur l’emploi pour un secteur déjà sous tension

Le besoin supplémentaire de main-d’œuvre dédiée à la rénovation s’établit entre 100 000 et 250 000 ETP d’ici 2030 selon les différentes estimations, valeurs qu’il convient de comparer aux 230 000 ETP actuels employés sur la rénovation énergétique : la filière est donc appelée à pratiquement doubler de taille.

Si ces estimations peuvent être réjouissantes du point de vue de la création d’emploi, elles sont aussi annonciatrices d’un risque : l’atteinte de nos objectifs est conditionnée au fait que ces emplois soient réellement pourvus. Si l’emploi devient le goulot d’étranglement, abonder les fonds de subvention ne fera qu’augmenter les prix et rallonger les carnets de commande des artisans.

Or la filière n’est aujourd’hui pas assez attractive. Les métiers de la rénovation énergétique héritent des stéréotypes sur les métiers du BTP : une image de pénibilité (port de charges lourdes, travail en extérieur, horaires peu propices aux contraintes familiales, incapacités survenant avant l’âge légal de départ à la retraite), un management dit « dur », une faible diversité des profils et une rémunération perçue comme insuffisante.

Seulement 44 % des jeunes ayant suivi une formation dans le BTP entament leur carrière dans ce domaine. Le déficit d’attrait pour cette filière ne se réduit pas uniquement à une perception extérieure, mais correspond à une réalité professionnelle décourageante pour une proportion significative d’étudiants et de jeunes actifs.

Passer de la politique de la demande à une politique de l’offre

La puissance publique a jusqu’à maintenant conduit une politique de la demande, en diminuant le prix apparent de la rénovation via des dispositifs d’aide et en incitant fortement les propriétaires de passoires thermiques à rénover leur logement avec des interdictions de location ou le gel des loyers. Cette politique de la demande n’a qu’un effet indirect sur le nombre d’emplois dans la filière, et les tendances ne sont à ce jour pas alignées avec les scénarios de transition.

Il est donc essentiel de conduire, en parallèle, pour favoriser l’apparition d’une offre de rénovation en quantité et en qualité. Nous proposons ici quelques objets sur lesquels pourrait porter cette politique de l’offre.

Si l’emploi devient le goulot d’étranglement, abonder les fonds de subvention ne fera qu’augmenter les prix et rallonger les carnets de commande des artisans.

Accélérer les recrutements alternatifs

La faible attractivité du secteur impose de diversifier les canaux de recrutement (accompagnement au retour à l’emploi des chômeurs, mobilités professionnelles, main-d’œuvre immigrée, etc.) afin de répondre aux besoins croissants de la rénovation.

La Solive est une entreprise de formation dont l’objectif est précisément de former des gens en reconversion aux métiers de la rénovation, et fait figure d’exemple en la matière. Ses trois centres forment 800 personnes chaque année, et elle prévoit d’en former 5 000 d’ici trois ans. Lorsque c’est envisageable, une embauche par les entreprises en contrat de professionnalisation est privilégiée. Pour les personnes demandeuses d’emploi, France Travail prend en charge une première partie de la formation et de l’indemnisation de la personne. Pour favoriser ces initiatives, il conviendrait de redonner de la visibilité sur le long terme à ces organismes de formation, en leur garantissant la pérennité des financements France Travail afin de permettre le développement de nouveaux centres et d’accentuer le maillage territorial. Pour les salariés finançant leur formation par leur Compte Professionnel de Formation, une bonification de leurs droits pourrait être envisagée.

Renforcer et simplifier le label RGE

Autour de 60 000 entreprises sont aujourd’hui labellisées RGE (label Reconnu garant de l’environnement, l’objectif gouvernemental étant de 250 000). On constate cependant une baisse ces deux dernières années (4 000 entreprises en moins depuis 2022). Le label, imposant les mêmes contraintes indépendamment de la taille de l’entreprise, est perçu comme trop complexe par une large partie du tissu d’entreprises. De nombreux professionnels déclarent ne pas vouloir s’engager dans des formations qui coûtent cher et qui ne débouchent pas nécessairement sur un marché nouveau et pérenne. Certaines entreprises sans label RGE préfèrent d’ailleurs diminuer leurs marges pour pouvoir proposer des tarifs de rénovations énergétiques équivalents à un prix avec subvention.

Les chantiers de rénovation énergétique sont par ailleurs contrôlés à plusieurs titres : par l’ANAH, dans le cadre de MaPrimeRénov’, par les obligés CEE4 et par les organismes de certification RGE. Cette multiplicité des contrôles est regrettée tant par les entreprises que par les pouvoirs publics, qui y perdent un gain d’efficacité à travers de possibles multiples contrôles pour une même entreprise.

La certification RGE est donc mal comprise des consommateurs et perçue comme une lourdeur administrative par les professionnels. Elle pourrait évoluer en faveur d’un alignement sur d’autres démarches du BTP qui remportent davantage d’adhésion : le modèle Consuel pour l’électricité ou la certification des installations au gaz. Cette évolution passerait par une approche fondée sur les risques, permettant de contrôler davantage les entreprises mal notées aux contrôles précédents. Elle permettrait également de labelliser des chantiers individuels, sans préjuger de la labellisation ou de l’activité principale de l’artisan, permettant ainsi d’élargir l’éventail de chantiers ouverts aux aides.

Stabiliser les règles pour attirer les grandes entreprises

À l’unanimité, les professionnels de la filière rencontrés lors notre mémoire dans le cadre de notre formation au Corps des mines nous ont fait part de leur besoin de stabilité concernant les aides à la rénovation, à la fois en termes de volume et de règles. Par exemple le sens de la demande du PDG de Saint-Gobain5, qui plaide pour une logique d’investissement à dix ans dans la rénovation énergétique. Plusieurs leaders du marché nous ont confié leur souhait de vouloir recruter davantage pour répondre à la forte demande, mais ne pas le faire par peur d’une diminution soudaine des aides.

Le nom d’un grand groupe peut aussi favoriser la confiance des clients dans l’offre de rénovation. Les filiales d’EDF engagées dans la rénovation énergétique (IZI by EDF et IZI Confort) utilisent l’image de marque du groupe EDF pour susciter la confiance de leurs clients. Elle n’est d’ailleurs pas dénuée de sens, étant donné les nombreuses fraudes qui ont entaché le marché de la rénovation, ou même simplement le risque pour un client de verser un acompte et de voir son artisan déclarer faillite avant la fin du chantier.

Enfin, les grandes entreprises sont généralement davantage mues par un désir de croissance que les petites, qui sont souvent dirigées par d’anciens artisans, avant d’être des chefs d’entreprises. Ils préfèrent souvent dégager des marges confortables en gérant une équipe de petite taille, plutôt que de viser un volume de chantiers élevé qui nécessiterait de consacrer un temps plus important à la gestion de l’entreprise.

Industrialiser la rénovation par le hors-site

Le principe de la rénovation hors-site est de préfabriquer des éléments 2D en usine et de les poser directement sur site. Il s’agit principalement des façades (incluant les fenêtres), des toitures (pouvant comprendre des panneaux solaires) ou des systèmes d’eau chaude sanitaire ou de chauffage. Il permet de diminuer le besoin en main-d’œuvre en le substituant par des machines (celles qui permettent la préfabrication en usine et les engins de chantier qui facilitent la pose sur site). En 2023, 2 500 logements ont été rénovés en hors-site, soit 1 % du marché de la rénovation en France. Selon le réseau EnergieSprong, 4,7 millions de logements (soit 12 % du parc) seraient compatibles avec ce mode de rénovation.

La filière du hors-site met en avant plusieurs avantages : durée d’intervention deux à trois fois plus courte, isolation de meilleure qualité (car certains gestes et traitements sont rendus possibles par des outils industriels), et facilité de recrutement. En effet, une partie de la main-d’œuvre est déportée en usine, où les conditions de travail sont plus agréables qu’en extérieur, et la main d’œuvre sur site est plus qualifiée et effectue un travail moins pénible qu’en rénovation classique. En particulier, le recrutement des profils féminins est beaucoup plus simple dans un tel contexte.

En revanche, le hors-site souffre encore d’un déficit de compétitivité-prix. Si les coûts sont en constante diminution depuis une dizaine d’années, la filière fait face aux mêmes verrous d’échelle et barrières à l’entrée que n’importe quelle industrie qui cherche à se développer. L’État est donc attendu pour débloquer ces verrous et lancer cette filière.

Transformer la crise du neuf en un levier pour la rénovation

En 2023, le logement neuf a connu une baisse de 7,8 % et selon la FFB, 150 000 postes dans le BTP seraient menacés (Nexity comme Vinci Immobilier ont déjà annoncé des plans de sauvegarde de l’emploi). Si certaines causes de la crise sont amenées à s’atténuer dans les prochaines années, d’autres facteurs plus structurels (démographie et crise climatique) risquent de la faire durer dans le temps. Ainsi, le SGPE table sur une baisse accrue de la construction neuve des logements.

Dans le même temps, l’entretien-amélioration a connu une croissance de 2,6 % du volume total, principalement portée par la politique de rénovation énergétique, et le développement de ce marché constitue donc une réelle opportunité de relais de croissance pour les acteurs de la construction neuve.

Mais ce transfert de compétences de la construction neuve vers la rénovation reste complexe. Tout d’abord, la rénovation requiert un sens du contact client qui n’est pas nécessaire dans le neuf. En effet, les travaux de rénovation se font la majeure partie du temps dans un logement habité et il faut savoir échanger avec l’occupant, lui expliquer les gestes et le rassurer, prendre des mesures de protection du reste des habitations et minimiser les nuisances. Par ailleurs, la rénovation présente le défi de devoir personnaliser l’intervention aux spécificités du bâti et donc de faire preuve d’ingéniosité et de créativité dans le geste artisanal, qui est au contraire beaucoup plus standardisé dans le neuf.

Permettre les travaux en auto-rénovation

L’auto-rénovation consiste, pour des ménages, à réaliser eux-mêmes les travaux de rénovation sans avoir recours à un professionnel, ou en limitant ce recours à un rôle de conseil et d’expertise. Elle représente près d’un tiers des gestes de rénovation effectués selon cette modalité. Un certain nombre de gestes de rénovation aboutissent d’ailleurs à des résultats comparables à l’intervention de professionnels.

Toutefois, cette solution ne permet pas, à ce jour, de bénéficier des aides publiques qui nécessitent d’avoir recours à un artisan labellisé RGE (pour la plupart des mécanismes) ou de bénéficier d’un accompagnement professionnel. Il serait donc nécessaire de développer une méthode de certification a posteriori des chantiers réalisés en auto-rénovation afin d’ouvrir les aides aux particuliers qui souhaitent rénover eux-mêmes leur logement.

Conclusion

La rénovation énergétique des bâtiments est pour beaucoup considérée comme le chantier du siècle. La difficulté à répondre au besoin en emploi qu’elle génère démontre que cette appellation est probablement justifiée.

Si des pistes existent pour faciliter le recrutement, il faut combiner la politique de la demande actuelle avec une politique de l’offre qui est aujourd’hui absente. Sans politique de l’offre, l’emploi deviendra le goulot d’étranglement de la stratégie de rénovation, indépendamment du volume total de subventions accordées. Il est donc urgent de structurer l’offre de rénovation énergétique pour dépasser son maillage diffus, améliorer les pratiques et attirer les entreprises du bâtiment vers la rénovation.


[1] SDES : Bilan énergétique de la France, 2019.
[2] Ce chiffre comprend les dépenses de l’assurance maladie, la perte de bien-être et le coût social en cas de décès.
[3] Ministère de la Transition Écologique, « Rénovation énergétique des logements : des bénéfices de santé significatifs », mars 2022.
[4] Mis en place pour financer la transition énergétique, le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE) oblige les entreprises qui vendent de l’énergie (gaz, fioul, électricité…) à proposer des aides financières aux particuliers pour financer la totalité ou une partie de leurs travaux de rénovation énergétique.
[5] Le Figaro, « Rénovation énergétique : Saint Gobain souhaite une « logique d’investissement » à 10 ans », jan. 2023.

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Mai 2025

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