Par Victoire de MARGERIE
Fondatrice et vice-présidente du World Material Forum
L’arrêt d’ici à 2035 de la production des véhicules à moteurs thermiques au profit principalement de véhicules électriques pose le défi des matières premières requises par ces derniers. La très forte croissance actuelle de leur production ne suffira pas pour répondre à la demande, le recyclage, bien qu’essentiel, pas plus, dans la mesure où il n’y aura pas assez de véhicules à recycler à moyen terme et où demeurent des pénuries prévisibles en cuivre et en nickel et des aléas géopolitiques pour le reste. L’acceptabilité de voitures à faible
autonomie est limitée. Les innovations technologiques auront donc un rôle crucial à jouer : batteries au fer, au soufre ou au sodium, réduction des consommations de matériaux critiques dans d’autres activités… Si le progrès technique a dans le passé permis de résoudre nombre d’autres problèmes complexes, le rythme imposé de cette transition est ici sans précédent.
Le Parlement européen a approuvé le projet de réglementation mettant fin à la vente de véhicules
neufs à moteur thermique en 2035. Il n’y a donc plus de doute sur le choix politique fait – même si certains
soubresauts se manifestent en Allemagne –, et ce choix est populaire, même si tout le monde sait que ce ne
sera pas facile. Oui, les voitures électriques sont plus lourdes et coûtent plus cher ; oui, les recharger est
compliqué ; oui, la disparition des moteurs thermiques va créer des problèmes sociaux ; oui, nous sommes
dépendants pour l’approvisionnement en certains matériaux critiques ; oui, les financements vont être
complexes à trouver pour pouvoir faire en même temps les investissement supplémentaires nécessaires en
exploration minière et en infrastructures de charge et de recyclage… Mais, aujourd’hui, le temps de la discus-
sion est passé et nous allons faire cet effort, car « sinon nos enfants ne nous le pardonneraient pas », comme
l’a dit le Commissaire européen, Frans Timmermans.
Tous les rapports publiés récemment (ceux de l’AIE, de la Bank of America…) prévoient donc, d’ici à 2040, des
hausses à « double digit » de la demande de tous les matériaux dits « de la transition énergétique » (cuivre,
nickel, lithium, cobalt…). Et ils estiment aussi que les investissements prévus par les groupes miniers sur
cette période ne couvriront que la moitié de cet accroissement de la demande. Sans oublier qu’il s’écoule entre sept et dix ans entre la découverte d’un gisement et sa mise en production. L’espoir vient bien sûr du recyclage. Mais même si les technologies de recyclage sont prometteuses – comme celle développée par la start-up Momentum Technologies qui vient de lever 20 M$ pour industrialiser son procédé MSX au Texas – on n’aura pas des quantités suffisantes de batteries à recycler avant 2030… Et les prévisions de pénurie à partir de 2025 s’amoncellent, et ce d’autant plus que l’extraction de ces métaux est concentrée dans des pays dits « à risque géopolitique », comme la Chine, la Russie ou la République démocratique du Congo.
Donc, nous sommes loin d’être prêts… Mais il faut se rappeler que toutes ces projections s’appuient sur
l’idée d’une fabrication des batteries électriques à partir de la technologie « Lithium Ion/Graphite », dite
« classique », car c’est cette dernière que vont utiliser les « giga-usines » qui sont en train de se construire
partout dans le monde, comme celle de Northvolt qui vient d’entrer en service en Suède ou celle de Verkor
dont la construction sur le territoire de Dunkerque vient d’être annoncée en parallèle à la publication du rapport Varin et dont le démarrage est prévu en 2025. Cette technologie lithium ion est certes la plus performante (aujourd’hui) en termes d’autonomie et de temps de charge, mais c’est aussi celle qui requiert le plus de matières premières critiques (cuivre, nickel, lithium, etc.). Et pour l’instant, seulement 10 % des matières premières nécessaires à ces gigafactories seront « produites » en Europe en 2025…
es annonces récentes d’Imerys et d’Eramet en ce qui concerne le lithium sont bienvenues. Mais on ne voit
rien venir en matière de cuivre ou de nickel. Et depuis la recommandation du rapport Varin, en janvier 2022,
on attend toujours l’annonce de la création d’un fonds européen pour investir dans l’exploration, l’extraction et le raffinage de ces métaux (chez nous, comme dans les pays « amis »). La Commission européenne vient
d’annoncer son Critical Materials Act, qui est le bienvenu sur le plan de la simplification des autorisations
administratives. Mais toujours rien en matière de financement des investissements miniers… Sans oublier que
les fonds privés hésitent à investir dans l’extraction et le raffinage des métaux considérés, car ces activités ne
sont toujours pas incluses dans la taxonomie des investissements durables. Aux États-Unis, le système de
financement est, quant à lui, bien rodé avec l’introduction à la bourse de New York de nombreux nouveaux
projets miniers soit aux États-Unis soit en friendshoring.
La seule vraie bonne nouvelle, c’est que les technologies pourront encore une fois nous aider : la variété
des choix technologiques en matière de batteries électriques est en effet quasi infinie.
On pourrait ainsi rendre plus performantes certaines technologies de batteries existantes (par exemple, au
fer) ou développer de nouvelles technologies (au soufre ou au sodium).
Dans ce cas, bien sûr, l’eau de mer, le soufre ou le minerai de fer sont plus accessibles et moins chers,
mais encore faut-il démontrer que ces nouveaux types de batteries sont ou seront performants (en termes de
sécurité, d’autonomie, de temps de charge ou de durée de vie). À quoi s’ajoute la question de savoir si l’on
pourra les fabriquer sur les lignes de production des batteries lithium ion en cours d’installation (ou plutôt,
l’on sait déjà que l’on pourra les fabriquer, mais avec une réserve forte tenant au niveau très élevé, selon les
estimations, des dépenses d’investissement complémentaires nécessaires).
En tout cas, la course a commencé. La start-up française Tiamat et son homologue suédoise Altris sont à la
manœuvre pour convertir la recherche fondamentale en batteries au sodium en concrétisation industrielle. Aux États-Unis, la start-up Mitrachem vient de lever 20 M $ pour utiliser l’intelligence artificielle afin d’améliorer les batteries LFP (à base de fer). Et la start-up Zeta Energy vient de lever 23 M $ pour financer la construction de son usine pilote de batteries au soufre au Texas.
Donc, il existe une belle variété de solutions technologiques qui peuvent être modulées en fonction des
caractéristiques de chacune des grandes régions du monde afin d’offrir aux utilisateurs de batteries élec-
triques la meilleure solution en termes de performance, de sécurité, de coût et d’empreinte environnementale.
On pourrait aussi jouer sur la notion de performance et investir massivement dans les infrastructures de
charge (qui demandent du ciment et de l’acier, disponibles en abondance), quitte à sacrifier la performance
des batteries en matière d’autonomie : toutes les batteries n’auraient pas besoin d’afficher 600 km d’autono-
mie, s’il y avait des stations de charge tous les 10 km – et encore moins si l’usage de ces batteries était limité
aux déplacements en centre-ville. On pourrait ainsi se « contenter » de consacrer la plus grande autonomie
qu’offrent les batteries au sodium à certains segments d’utilisateurs, et donc réduire l’importation de matériaux critiques. La difficulté réside alors dans l’acceptabilité pour les clients d’avoir à recharger très fréquemment leurs véhicules.
Enfin, l’on pourrait aussi aller plus vite dans le développement des chimies alternatives : Tiamat, si elle était financée plus vite, pourrait industrialiser plus rapidement sa deuxième génération de batteries au sodium
qui se présente comme plus performante… Du côté du soufre, ça avance plus vite…, mais au Texas : au
travers de sa deuxième génération de batteries lithium au soufre, Zeta Energy, à Houston, promet ainsi pour
2024 la même efficacité volumétrique et gravimétrique que les batteries lithium ion, et ce en ayant résolu le
problème des dentrites et en remplaçant le nickel et le cobalt par du soufre, amplement abondant aux États-
Unis comme chez nous.
En fait, de la même façon que l’emballage alimentaire a besoin de tous les matériaux disponibles (verre, alu-
minium, acier et polymères) pour répondre aux besoins de nos citoyens, tout en investissant continuellement
pour utiliser ces matériaux de la meilleure des façons et en moindre quantité (grâce à un recyclage de qualité
comme le fait notre super start-up française Carbios avec le recyclage enzymatique des bouteilles en PET),
l’industrie des batteries électriques doit combiner intelligemment toutes les technologies disponibles pour
mieux et moins utiliser tous les matériaux de la transition électrique.
Avec une vraie différence : l’industrie alimentaire a eu trente ans pour s’adapter, alors que l’industrie des bat-
teries doit le faire d’ici à 2035, c’est-à-dire en l’espace
de seulement douze ans…