Propos recueillis le 11 mai 2023
par Mélanie BÉNARD-CROZAT
Rédactrice en chef de la revue
Sécurité & Défense Magazine (S&D Magazine)
L’avenir passe par les nouveaux champs d’innovation du numérique. Les cryptoactifs, par exemple, sont actuellement détenus par 8 % des Français, et notre pays compte déjà des pépites de renommée mondiale. Nous nous sommes dotés d’un cadre réglementaire qui a inspiré l’Europe1. Mais ces technologies évoluent très vite et nous avons des places à prendre. Nous allons donc poursuivre nos efforts pour faire de la France le premier hub européen pour les innovations reposant sur la blockchain. Le métavers est lui aussi un enjeu de souveraineté numérique et culturelle majeur pour la France. Nous devons être en mesure de développer et maîtriser les briques technologiques permettant d’offrir des solutions métavers dans tous les domaines applicatifs, qu’il s’agisse par exemple de l’e-sport ou de la culture. Nous pouvons d’ores et déjà nous appuyer sur un tissu d’acteurs de grande qualité pour répondre à la volonté du président de la République de créer un métavers européen. Je pense notamment à l’Inria, Ubisoft ou à Dassault Systèmes, leader mondial sur les jumeaux numériques et dont les applications dans l’industrie peuvent renforcer substantiellement notre compétitivité. Les enjeux du métavers sont vastes et très intriqués. Il s’agit de préparer l’avenir avec ambition et détermination, et les travaux sont en cours pour conduire prochainement à une stratégie dédiée.
Des métavers :
une définition commune
Si de nombreux projets aussi différents que des plateformes de réalité virtuelle, des jeux vidéo multijoueurs, des plateformes de diffusion de concerts en réalité augmentée ou des sites de vente en ligne fondés sur des blockchains s’attribuent l’appellation « métavers », ce dernier est défini par plus de 80 personnalités consultées dans le cadre du rapport parlementaire sur les technologies immersives et les métavers qui nous a été rendu au ministre de la Culture et à moi-même (entrepreneurs de la réalité virtuelle et de la blockchain, acteurs culturels, artistes, professionnels du jeu vidéo, chercheurs en sciences sociales, en intelligence artificielle et en informatique) comme « un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D en temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives ».
Des ambitions affirmées
Les métavers s’annoncent comme porteurs de débouchés majeurs, de l’industrie à la santé, en passant par la formation et l’économie. Parce qu’ils pourront contribuer à la démocratisation de nouvelles formes d’expression culturelle et d’outils de création en ligne, ils représentent une opportunité indéniable. Pour la France et pour l’Europe, le développement des métavers doit permettre l’émergence de nouveaux leaders mondiaux des usages du numérique, et renforcer le rayonnement culturel français. Les métavers seront déterminants pour l’avenir du numérique et du Web3, pour lesquels la France doit jouer un rôle majeur au niveau mondial en s’appuyant sur un savoir-faire, des leaders industriels mondiaux et un esprit entrepreneurial exemplaire. Mais si les métavers sont de formidables espaces d’innovation, ils doivent promouvoir la créativité de chacun tout en assurant la protection des utilisateurs, de leur liberté, et de leurs données. Je pense notamment aux mineurs qui font l’objet de notre plus grande vigilance. Ce rapport souligne la nécessité de déployer une stratégie qui réaffirme notre modèle de société en soutenant
un développement des métavers aligné avec nos valeurs françaises et européennes, dans le respect à la fois des exigences climatiques, de santé publique, et d’acceptabilité sociale.
Parmi les dix leviers d’actions qui visent à développer l’infrastructure technologique, soutenir l’innovation, miser sur les usages, orchestrer la régulation et prendre en compte les enjeux sociétaux et environnementaux, le rapport invite aussi à se saisir de l’opportunité des Jeux olympiques pour rassembler les acteurs français des métavers autour de projets concrets, au sein d’un consortium public-privé placé sous le pilotage de l’Inria. Objectif : proposer des actions de grande visibilité autour d’expériences immersives
pouvant être partagées avant, pendant et après les Jeux olympiques et paralympiques (entraînement / compétitions, transport / tourisme, coulisses / échanges avec les athlètes).
Standards et puissance publique
La France doit réinvestir les instances de négociation des standards techniques, pour participer activement aux discussions sur l’interopérabilité des technologies de l’immersion. La puissance publique aura aussi un rôle à jouer pour faire émerger les services communs et essentiels permettant l’avènement d’une pluralité de métavers interopérables.
La règlementation qui s’intensifie au niveau européen, notamment avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), le DSA2 (législation sur les services numériques) et le DMA3 (la législation sur les marchés numériques) devront être adaptés aux enjeux des métavers.
L’État est également appelé à investir dans des outils et les techniques d’analyse des métavers, et des transactions qui s’y déroulent, afin de permettre aussi bien la détection des infractions pour remonter aux auteurs que de percevoir l’impôt ou encore de réaliser des investissements dans des initiatives de recherche interdisciplinaire (informatique, neurosciences et sciences sociales) de grande ampleur et à long terme, utili-
sant les dispositifs existants (France 2030, quatrième programme d’investissements d’avenir, programmes et équipements prioritaires de recherche, agence nationale pour la recherche).
Les piliers de la recherche
et de l ’Innovation
Soutenir l’innovation sera aussi stratégique. Protéger et encourager les acteurs en pointe sur des briques technologiques sera essentiel à la constitution des métavers de demain. Cette stratégie nationale du métavers viendra consolider et protéger les filières industrielles de la réalité virtuelle, de la modélisation 3D, de l’animation 3D et du jeu vidéo, mais aussi attirer des talents et éviter autant que possible la fuite des cerveaux. La France bénéficie d’ores et déjà de filières d’excellence dans les technologies de l’immer-
sion. Pour aller plus loin, il est appelé à créer un institut de recherche et coordination qui serait à la fois un laboratoire de recherche en informatique dédié aux arts immersifs, un lieu de coordination entre chercheurs et artistes pour la création d’œuvres immersives innovantes dans les métavers, et un comptoir d’expertise pour toutes les institutions culturelles concernées.
Une démarche responsable
La technologie et le numérique joueront également un rôle clef pour relever le grand défi écologique et atteindre la neutralité carbone. Au gré des évolutions technologiques, la transition est déjà une réalité : la fibre consomme trois fois moins d’énergie que le cuivre. En zone dense, la 5G utilisera dix fois moins d’énergie que la 4G, à usage constant.
Conformément aux objectifs fixés par la Première ministre, et bien que le secteur du numérique ne représente que 2,5 % de l’empreinte carbone du pays, tous les acteurs ont confirmé leur volonté de diminuer de 10 % leur consommation énergétique d’ici deux ans.
Le métavers doit aussi intégrer cette dimension et permettre de développer des solutions au service de la sobriété numérique, ainsi qu’un système de mesure de l’impact environnemental de ses infrastructures. Ainsi, collectivement, nous pouvons franchir la première marche vers une neutralité carbone, souhaitée par le président de la République à horizon 2050.
Approche collaborative et éthique
Nous souhaitons que cette transition numérique immersive qui se profile s’opère au profit de la population. Elle ne se fera pas au détriment de notre souveraineté technologique, économique et culturelle. L’adoption de ces technologies ne prospérera toutefois qu’à la condition de les mettre au service de nos concitoyens.
Aussi, avons-nous invité ces derniers, les entreprises, les associations et les chercheurs, au travers d’une consultation publique lancée en avril 2023, à exprimer leurs attentes et perspectives en la matière. Cette consultation qui vient en complément de celle lancée au niveau international par la Commission européenne, entend contribuer à définir cette stratégie nationale ambitieuse sur l’univers immersif virtuel et proposer une alternative aux univers immersifs virtuels proposés aujourd’hui par les géants internationaux. Elle
a pris fin début mai.
Les citoyens ont été interrogés sur la réalité mixte, la blockchain et les logiciels de création 3D. Nous avons également souhaité les inviter à nous faire part de leurs intentions de mener des activités dans les univers virtuels immersifs. Les chercheurs ont été priés d’identifier les domaines dont le développement devra être financé en priorité. Ils ont par ailleurs partagé une description de leur vision des expériences immersives virtuelles. Les entreprises et associations ont été encouragées à présenter les éléments sur lesquels les futurs mondes immersifs s’appuieront, et à identifier les différents obstacles qui pourraient entraver la progression des entreprises françaises dans le développement des univers virtuels immersifs.
Les sujets éthiques liés au numérique sont majeurs. Aussi j’ai saisi le comité national d’éthique du numérique sur un projet pilote en 2019. Il a été pérennisé cette année par le Président de la République, et le comité rendra cet été un avis sur l’éthique de l’IA et des agents conversationnels comme ChatGPT. De même, nous pourrions envisager de le saisir également sur la notion de mondes virtuels. Les enjeux liés à la protection des données et des mineurs figurent parmi les principaux points de vigilance.
L’europe et les mondes virtuels ouverts,
interopérables et innovants
La Commission européenne entend aussi élaborer une vision des mondes virtuels émergents fondée sur le respect des droits numériques et de la législation et des valeurs de l’UE. L’objectif est de créer des mondes virtuels ouverts, interopérables et innovants que les citoyens et les entreprises pourront utiliser en toute sécurité et en toute confiance. La consultation devrait permettre de préciser cette vision, exposer les perspectives et les enjeux sociétaux, et annoncer les mesures de mise en œuvre à venir. La Commission
européenne poursuit actuellement son projet de passeport numérique des produits4. Un
dispositif qui doit théoriquement imposer que chaque produit physique renvoie vers une
carte d’identité en ligne intégrant des données sur son origine et son mode de production.
Celui-ci, comme les métavers, devrait s’adosser à un système de blockchain.
Des débouchés majeurs
Les métavers s’annoncent comme porteurs de débouchés majeurs, de l’industrie à la santé, en passant par la formation et l’économie, et carils pourront contribuer à la démocratisation de nouvelles formes d’expression culturelle et d’outils de création en ligne. Nous avons une longue tradition dans ce domaine, avec des acteurs de la 3D pour l’industrie et la santé dont un leader mondial qui est Dassault Systèmes, avec des acteurs des univers virtuels pour les jeux vidéos comme Ubisoft ou encore des sociétés comme Ledger. Et des écoles reconnues au plan international comme Les Gobelins. La filière française de la création immersive a également donné naissance à des studios de fabrication reconnus mondialement. D’autres projets innovants – indispensables pour naviguer et réaliser des transactions dans les métavers – sont en cours de développement afin d’offrir des solutions de gestion d’identités, de stockage décentralisé, ou de sécurisation des actifs numériques. Il en ressort ainsi que pionniers et pépites des métavers français se répartissent entre deux écosystèmes, celui de la réalité virtuelle / réalité augmentée / réalité mixte (ou réalité étendue) ; et, de l’autre, l’écosystème blockchain / Web3 / NFT. Pour la France et pour l’Europe, le développement des métavers doit permettre le renforcement de ces leaderships, mais aussi permettre l’émergence de nouveaux leaders mondiaux des usages du numérique et renforcer le rayonnement culturel français.
Le développement de ces nouveaux univers n’en est qu’à ses débuts. Mais il est possible d’en anticiper les formes et modalités d’usages, en s’appuyant sur ce qui existe déjà en termes de technologies immersives (réalité virtuelle, réalité augmentée, hardware lunettes / combinaisons haptiques…) et des infrastructures réseaux (moteurs de calcul issus du secteur du jeu vidéo, services cloud…), pour offrir des expériences sociales, professionnelles ou culturelles enrichies. À l’échelle de ce match devenu mondial, la France a
un rôle majeur à jouer en Europe, et ses succès contribueront à ceux de l’Union. Nous devons rester pionniers pour garantir le respect des droits et des devoirs dans
Des avatars aux jumeaux numériques, des cryptoactifs aux casques de réalité virtuelle, le développement des métavers est une opportunité majeure que nous devons saisir tout en respectant nos valeurs et nos droits fondamentaux.l’espace numérique, et permettre à la démocratie de s’emparer du cyberespace.