Par Leroy ATHANASSOFF
Creative Director on Rainbow 6 Siege
@ Ubisoft Montréal

Les mondes virtuels ont acquis une place importante dans le monde des jeux vidéo. Ils permettent aux joueurs de plonger dans des univers imaginaires et de vivre des expériences uniques. Les mondes virtuels peuvent prendre différentes formes, que ce soient des modes de jeu en ligne, des environnements virtuels immersifs ou des plateformes sociales, et peuvent parfois être associés à la réalité virtuelle. Celle-ci offre une immersion totale et absolue, réalisant ainsi le rêve suprême de mettre le joueur à l’intérieur du rêve. Cependant, les défis auxquels elle est confrontée en matière de design, de frictions et d’accessibilité ne doivent pas être sous-estimés.

Les mondes virtuels ont acquis une place importante dans le monde des jeux vidéo. Ils permettent aux joueurs de plonger dans des univers imaginaires et de vivre des expériences uniques. Les mondes virtuels peuvent prendre différentes formes, que ce soient des modes de jeu en ligne, des environnements virtuels immersifs ou des plateformes sociales, et peuvent parfois être associés à la réalité virtuelle.

Pourtant, les mondes virtuels ont existé bien avant la technologie. Des mondes contenant des possibilités infinies, cohérentes mais qui s’opposent à la réalité. On les visite dans notre imaginaire seul ou avec des amis. Pendant une session de jeu avec des Lego ou des poupées, nous étions à l’intérieur d’un monde avec ses propres règles et sa propre cohérence.

En grandissant, certains découvraient les systèmes de règles des jeux de rôle, permettant d’ajouter de la persistance à ces univers. Ils se prolongeaient d’une session à l’autre, mais cela se faisait au prix de beaucoup de complexité. Finie l’accessibilité immédiate de la Barbie et de son « on dirait que… » enfantin. Il fallait lire et comprendre des systèmes de règles parfois très complexes pour que tout le monde puisse jouer, sauvegarder et reprendre. Par conséquent, seule une petite partie de la population était concernée à cette
époque.

Les jeux vIdéo en ligne ou
les premiers mondes virtuels sur écran

Une des forces des jeux vidéo en ligne, donc des premiers mondes virtuels sur écran, a été de reprendre tous ces systèmes, de les simplifier au travers d’interfaces beaucoup plus accessibles et de les rendre disponibles facilement à tout le monde.

Parmi les pionniers, on peut citer Diablo, Ultima Online, Eve Online, Everquest, Dark Age of Camelot, etc. Mais celui qui va vraiment démocratiser le genre et s’imposer pendant presque vingt ans comme le roi ultime est World of Warcraft.

Le premier monde virtuel grand public. Où l’on pouvait éprouver la persistance, des dynamiques sociales, des aventures, etc.

Des communautés et des outils pour gérer ces communautés sont nées avec World of Warcraft. Et lorsque d’autre tendances ont émergé alors ces communautés se sont déplacées ou agrandies pour exister dans ces nouveaux espaces.

D’abord, les MOBA pour multiplayer online battle arena où plusieurs équipes de joueurs s’affrontent en ligne (League of Legends, les Dota) puis l’émergence de l’e-sport, les jeux de “Battle Royale” (expression anglophone pour désigner un genre particulier de jeux où tout le monde s’affronte en même temps jusqu’au « dernier homme debout »), Minecraft, Fortnite, Roblox, etc.

Et s’il existe plusieurs espaces virtuels qui partagent des caractéristiques (la dimension sociale étant de loin la plus importante), ils ont tous leur propre spécificité.

Chacun va parler à des profils de joueurs (des “personas”) différents et donc a des communautés différentes. Prenons un exemple proche, celui de l’e-sport et de la communauté en ligne du jeu Rainbow 6 Siege (ou R6 Siege) : ses besoins, ses règles et ses modes d’existence sont bien différents de ceux des communautés Minecraft. Quand bien même on va retrouver des outils identiques (création d’un serveur sur Discord, présence de contenu sur YouTube, streamers favoris sur Twitch), le mode d’interaction et la nature du jeu font
que le public n’est pas le même.

Dans le cas de l’e-sport, ce qui est intéressant est que même si le cœur de l’expérience est en ligne, celle-ci est sans cesse ramenée au réel au travers de compétitions et d’évènements bien physiques, qui sont tout autant d’occasions pour les gens de se découvrir en « vrai » avec parfois bien des surprises.

Toujours plus d’immersion
et moins de distance
entre le réel et le virtuel

Ce mélange de virtualité et de réalité crée une friction permanente entre l’avatar et le sujet avec par exemple l’agent du GIGN surentraîné à l’intérieur du jeu joué par une adolescente de 17 ans dans la réalité. Et c’est justement cette distance, cette friction, qu’une évolution technique majeure essaye de corriger depuis presque dix ans.

En 2013, l’arrivée des casques de réalité virtuelle (acronyme VR en anglais) sur le marché grand public va tenter de résoudre, entre autres, cette problématique de l’athlète différent de l’avatar.

Les personnes qui ont eu la chance de tester cette technologie conviennent qu’il n’y a rien de comparable dans le monde des jeux vidéo traditionnels, du cinéma, ou même dans le monde réel. La VR offre une immersion totale et absolue, réalisant ainsi le rêve suprême de mettre le joueur à l’intérieur du rêve.

On pensait son essor inéluctable et inévitable. Et pourtant, depuis l’apparition de l’Oculus Rift en 2013 par Valve, chaque année on a prédit l’année de la VR sans que celle-ci n’arrive vraiment.

Problème de design,
de frictions et d’ accessibilité,
et un challenge économique

Tels sont les différents problèmes et enjeux auxquels est confrontée cette technologie.

Problème de design

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la VR ne peut pas simplement hériter de tous les apprentissages passés du jeu vidéo. Croire que ce serait par exemple une stricte amélioration de la vue à la première personne (FPV pour first person view / FPS pour first person shooter), si populaire dans le jeu vidéo, serait une erreur majeure.

La VR est un nouveau paradigme, une nouvelle façon d’envisager les jeux. C’est une révolution comparable à l’arrivée de la 3D, qui a changé et révolutionné pour toujours le design et le mode de contrôle des jeux vidéo. La 3D a fait passer les plateformes et les jeux d’arcade 2D à de vrais modes de contrôle en trois dimensions, et la VR est en train de faire de même.

De plus, les mouvements de la tête et du corps dans la VR doivent être parfaitement synchronisés avec les mouvements dans le monde virtuel pour éviter toute sensation de nausée ou de désorientation. Cela peut nécessiter des ajustements dans la conception des jeux, tels que des vitesses de déplacement plus lentes ou des angles de caméra spécifiques.

Les frictions

Un autre défi majeur pour la VR est la question des frictions, c’est-à-dire les obstacles qui empêchent les utilisateurs de profiter pleinement de l’expérience de la VR. Il y a plusieurs types de frictions auxquels les utilisateurs sont confrontés :

• Le coût élevé. Les casques de VR peuvent coûter cher, et cela peut être un obstacle pour de nombreuses personnes. Le coût des casques de VR a considérablement baissé ces dernières années, mais il reste un défi majeur pour la VR si elle veut devenir une technologie grand public :

• Les problèmes de confort. Les casques de VR peuvent être inconfortables à porter pendant de longues périodes, et ils peuvent également causer des problèmes de fatigue oculaire. Les développeurs doivent continuer à travailler sur l’amélioration du confort des casques de VR pour offrir une expérience plus agréable aux utilisateurs.

• Les problèmes de compatibilité / manque d’interopérabilité. Il y a souvent des problèmes de compatibilité avec les différents matériels et logiciels utilisés pour la VR. Les développeurs doivent s’assurer que leurs jeux et applications fonctionnent sur toutes les plateformes de VR disponibles.

• Les problèmes de mouvement. Les casques de VR peuvent être limités en termes de mouvement, ce qui peut limiter l’expérience immersive. Les développeurs doivent trouver des moyens de permettre aux utilisateurs de se déplacer librement dans l’environnement virtuel.

Défis économiques

La VR est confrontée à des défis économiques importants pour devenir une technologie grand public. Les coûts élevés de développement et de production des jeux et applications VR, ainsi que les coûts de marketing et de distribution, peuvent rendre difficile pour les développeurs et les éditeurs de rentabiliser leurs investissements. En effet, le parc installé de machines reste malheureusement bien trop petit, et tend à réduire les gains potentiels et donc les coûts des projets possibles.

Enfin, la VR doit également faire face à la question de la disponibilité des contenus. Les développeurs doivent continuer à produire des jeux et applications VR de haute qualité pour maintenir l’intérêt des utilisateurs et stimuler la demande pour la VR.

Conditions rendues d’autant plus difficiles que les budgets sont limités.

Alors il y a bien eu des exemples de sociétés essayant de briser ce cercle vicieux. On pense à Valve et son Half-Life : Alyx avec un score exceptionnel de 93 % sur le site de collecte de notes attribuées à du contenu musical et audiovisuel, Metacritic1, rompant avec le traditionnel « petit jeu » pour offrir aux utilisateurs de VR une expérience et une aventure dignes des plus grosses consoles AAA (système de classification informel dans l’industrie du jeu vidéo pour désigner des jeux vidéo dotés de budgets de développement élevés et
générant de gros revenus), la société n’ayant jamais regardé à la dépense.

On a aussi eu récemment Sony avec son PSVR 2 (casque de VR pour console PlayStation 5) et l’incroyable Horizon Call of the Mountain, jeu qui se déroule dans l’univers de la licence à succès Horizon. Et là encore, Sony a mis de gros moyens, développant même une technologie d’eye-tracking pour améliorer les problèmes de cinétose (mal des transports).

Dans les deux cas, si le succès d’estime et critique est là, malheureusement le succès commercial, lui, tarde à venir et l’impact sur les ventes de casques VR reste très marginal.

L’essor et l’excitation des premiers temps (où tous les studios et développeurs avaient leur projet VR en cours) ont laissé la place maintenant à un réalisme plus froid.

On continue d’exploiter cette plateforme et il est toujours possible de produire de bonnes expériences et de rencontrer une certaine forme de succès, mais dorénavant le plafond de verre est connu et les ambitions sont revues à la baisse, et surtout sont beaucoup plus réalistes.

Conclusions

La réalité virtuelle et les mondes virtuels ont déjà connu des évolutions importantes depuis leur création, mais leur potentiel est encore largement inexploré. Avec l’amélioration constante de la technologie et la réduction des coûts, nous pouvons nous attendre à voir de plus en plus de personnes profiter des expériences immersives, avec ou sans VR.

Cependant, les défis auxquels la VR est confrontée en matière de design, de frictions et d’accessibilité ne doivent pas être sous-estimés. Les concepteurs et développeurs devront continuer à innover pour trouver des solutions aux problèmes existants, et pour créer des expériences de réalité virtuelle qui sont à la fois accessibles et engageantes pour le grand public.

En ce qui concerne les mondes virtuels, ils sont appelés à devenir des espaces de plus en plus sociaux et interactifs, où les utilisateurs pourront se connecter, interagir, jouer et collaborer ensemble. Les mondes virtuels pourraient même devenir une nouvelle plateforme de travail, permettant aux gens de travailler ensemble de manière collaborative, quelle que soit leur localisation géographique. On pense par exemple à des plateformes comme Discord, Teams, Miro, Slack, etc.

Le Covid fut, malgré lui, un catalyseur, un accélérateur de cette tendance, et a fait émerger cette notion de « tiers-lieu » (de l’anglais “third place”) en ligne, désignant ainsi les environnements sociaux venant après la maison et le travail.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, on ne considère plus les espaces en ligne et les mondes virtuels uniquement comme des lieux récréatifs et d’évasion. Il est possible de produire, de fabriquer, de travailler ensemble… Le monde du jeux vidéo a donc ce paradoxe de travailler sur le jeu à l’intérieur du jeu. Car en cette période où le télétravail prend son essor et où il faut retrouver des espaces communs et des activités d’équipe pour créer ce tissu nécessaire à toute bonne collaboration, quoi de mieux que le jeu auquel on collabore ? Et c’est là un des secrets de la si bonne résistance de cette industrie aux dernières crises, qui explique qu’elle a pu continuer de produire et travailler tout en maintenant du lien avec ses collaborateurs.

Avec le temps, une partie du travail qui ne nécessite pas de présence et de moyen physique se délocalisera dans ces espaces virtuels. Et l’on peut déjà se demander ce que cela veut dire de créer de la musique, des films, des revues, des sites web dans des environnement 100 % connectés et en ligne.

Il y a fort à parier que l’on se tournera alors vers les jeux et leur mondes virtuel pour en comprendre leur fonctionnement, et élaborer des nouveaux process de production et de création.

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