Propos recueillis
par le Général Éric FREYSSINET

Présentation de Pierre PAPERON
Pierre Paperon est ingénieur des Arts et Métiers et MBA HEC. Il a été consultant et directeur général dans de multiples sociétés dont McKinsey, Havas, Apple, groupe Danone, Lastminute.com… Depuis huit ans, il conseille les gouvernements et les sociétés pour l’utilisation des blockchains, des NFT et du Web3 (anti blanchiment, cinéma, grands crus classés et primeurs, agriculture, stade de foot…). Il a créé, en janvier 2022, l’association France Meta, qui compte 1 300 membres.
Pierre a sept enfants, tenté l’Everest, écrit trois livres et été officier sur le Redoutable pendant deux ans.

Comment définir les métavers ?

Comme pour l’Internet à ses débuts mais encore de nos jours, de multiples définitions existent, notamment celle donnée par Mark Zuckerberg au mois d’octobre 2021 : pour faire simple, un univers en trois dimensions, la représentation des individus par un ou plusieurs avatars, et des lunettes de visualisation. Pour beaucoup de mes interlocuteurs, cela paraît trop limitatif et n’inclut pas, par exemple, la blockchain et l’intelligence arti-
ficielle alors que la tendance actuelle est forte. Je proposerai donc une définition plus opérationnelle et large : le métavers est une représentation d’une réalité accessible à plusieurs personnes qui peuvent échanger et collaborer dans cet univers spécifique.

Parfois, les métavers sont permanents, ce qui permet à ces mondes de garder une mémoire de ce qui s’y passe, l’univers vivant sa propre vie et étant en capacité de recevoir la visite de personnes à tout moment, voire d’y observer des bots (automates) qui y évoluent en permanence. C’est une caractéristique présente dans la plupart des cas, mais pas dans tous et cela dépend de la finalité du metaverse. Dans un des démonstrateurs monté par nos membres, le métavers du sous-sol (appelé Métavers de Terre par l’équipe), la finalité est de pouvoir découvrir ce sous-sol et notamment tenir des conférences avec de multiples
avatars ou personnes présentes dans le sous-sol.

Dans d’autres cas, des métavers ont réuni des millions de personnes pour des concerts… pour un temps donné. Un peu comme une salle de théâtre ouverte puis fermée. Dans Fortnite, qui est un métavers de jeu, c’est une nouvelle session toutes les dix minutes avec un nouvel environnement à chaque fois.

La permanence n’a que peu d’intérêt dans ce cas-là.

S’agissant des avatars eux-mêmes, ils peuvent prendre des formes réalistes ou faisant appel à l’imaginaire. Toutefois, l’univers professionnel fait une supposition d’authenticité de la personne que l’on voit. L’habit fait une partie du moine dans ce monde-là. Et cette règle va s’appliquer dans les métavers même si un peu de fantaisie va être permise. Les codes professionnels ont la vie dure. Pour des univers plus personnels, la porte est grande ouverte à tout type d’avatars. Les réseaux sociaux sont intéressants à observer actuellement, sans que ce soit des avatars, les photos de profils sont améliorées par l’IA, ce qui indique une tendance forte vers du botox virtuel.

Définitions de WEB3, NFT et métavers

Pour France Meta, le Web3 est le mouvement d’ensemble qui englobe la confluence et toutes les combinaisons possibles de multiples technologies nouvelles ou anciennes : blockchain, tokens et NFT, intelligence artificielle, edge computing, avatars, 3D, vidéo à 360°, métavers…

La technologie blockchain nous paraît particulièrement adaptée aux métavers. Le modèle blockchain apporte une solution de transmission directe de propriété ou droit de personne à personne, comme Deezer avait pu l’initier en 1998. C’est l’équivalent du cash ou de la monnaie fiduciaire, mais en version électronique. Avec pour certains, le souhait de s’émanciper des banques ou des États.

En découlant, le NFT (non-fungible token) est clairement une de ces technologies, et permet de certifier et tracer un jumeau numérique (par exemple pour une bouteille de grand cru classé comme cela a été fait). Les NFT sont aussi à l’origine du fort développement de certains métavers comme Sandbox et Decentraland, car le financement de ces plateformes s’est fait au travers de la vente de NFT de surface immobilière.

Les fonctions du token ou NFT sont innombrables comme la certification, l’authentification, la traçabilité, la création d’un actif numérique immatériel (surface immobilière, part de film, tonne de CO2, CEE de MWh, compte épargne temps…). Par exemple, un fichier PDF tokenisé serait un document avec dans les métadonnées un condensat (hash) au format SHA2 permettant d’auto-vérifier que pas un pixel n’a été changé. Cette propriété ou fonctionnalité pourrait servir à éviter l’usurpation d’identité pour 200 000 personnes par an, qui ne sont pas protégées par la carte d’identité dont on ne demande qu’une photocopie ou une numérisation au format PDF aisément falsifiable.

Une interopérabilité nécessaire ?

La tentation est grande pour tous de tenter de s’accaparer une grande part du gâteau Web3. Un peu comme AOL a pu le faire en 1993 en concevant un Internet « fermé » qui a conduit à sa disparition, car les producteurs de contenus sont rapidement devenus des millions à la fin des années 1990. Peu de solutions émergent actuellement en dehors du constat de cette non-interopérabilité qui a donné naissance au Metaverse Standards Forum en juin 2022, qui produit des documents mais dont on peut imaginer la difficulté
à faire émerger une solution commune pour les 2 000 entreprises, et dont Apple ne fait pas partie.
Les attendus d’une telle standardisation sont multiples et touchent de nombreux domaines. En premier lieu, l’interopérabilité, sans conteste. En second, les règles de surveillance et de contrôle de ce qui est ou peut se transformer en espace d’insécurité majeur avec un développement incontrôlé de la cybercriminalité, des atteintes aux mineurs ou des blanchiments de fonds en tous genres. En troisième, la définition du cadre légal avec le choix d’une ou plusieurs législations applicables pour ces univers sans ancrage géographique a priori. En outre, la propriété, l’immobilier, la fiscalité, le droit de la consommation sont des questions qui émergent fortement actuellement. L’inclusion des IA dans les métavers soulève des questions encore plus vertigineuses avec leur puissance de génération de réponses, d’images, de nouveaux mondes ou de paradis artificiels.

L’AFNOR a été chargée récemment d’une mission de normalisation, et l’association France Meta participe aux travaux. Même si ces normalisations à venir vont arriver trop tard, être potentiellement désuètes (par exemple, quelle norme pour les avatars conversationnels dotés d’une IA spécifique…) ou encore être « écrasées » par des directives européennes en cours de gestation.

Des technologies émergentes
pour le métavers

ChatGPT, motorisé pour l’instant par GPT3.5 et basé sur des données de 2021, ouvre la voie à une intégration très rapide dans les métavers au travers de la réalisation d’avatars conversationnels. Ce sont des personnes vivantes ou décédées, réelles ou virtuelles, à qui il sera possible de poser des questions et de tenir une conversation. Les applications pour les entreprises, les services publics et l’éducation, notamment, sont assez vertigineuses.

Sans aller jusqu’à l’intelligence artificielle, beaucoup d’automates sont déjà en place dans des mondes virtuels. Plus que des contraintes, ce sont pour l’instant leur faible qualité qui permet de les détecter assez rapidement, un peu comme des faux profils sur les réseaux sociaux ou des bots sur Fortnite qui sont pointés par nos enfants en moins de trois secondes. L’IA va leur donner une capacité d’auto-perfectionnement qui va gommer cette différence encore perceptible entre « réel » et « virtuel fabriqué ».

Et il est bien entendu indispensable de travailler à une identification très claire de ces automates, et même d’avoir une notation pour l’évaluer. La question, très parallèle, est en train de se poser à Amazon qui a vu depuis le début de l’année plus de 250 livres écrits avec de l’IA. Une solution pourrait être une indication du mix réalisé entre l’auteur et l’IA, un peu comme une étiquette pour les produits indiquant leur composition.

Le mouvement métavers a mis en évidence la puissance de l’immersif pour des processus d’apprentissage et de représentation de réalités auxquels on n’a pas un accès direct. Un métavers de sous-sol biologique et vivant est, par exemple, en cours de réalisation pour « immerger » à deux mètres sous la surface un ou plusieurs agriculteurs, et leur faire comprendre l’importance d’une gestion des sols différente avec la visualisation de la capture de carbone par exemple (multipliée par 10).

Envisager de nouveaux usages
pour les métavers

Nous évoquions plus haut l’application directe à la capture de CO2 par les agriculteurs. Nous avons aussi proposé au ministère de l’Intérieur la création d’un jumeau numérique d’une cellule de crise, pour former les participants sans qu’ils aient besoin de se déplacer, permettre à des intervenants à distance de participer à la cellule de crise, de mettre à jour les connaissances des uns et des autres sur les informations et visualisations possibles.

Les applications pour les seniors et l’amélioration de leurs capacités neurocognitives est une voie royale me semble-t-il aussi : j’ai pu être au musée de Guggenheim à New York avec ma mère de 87 ans qui était à Nîmes et moi, dans ma ferme dans le Berry.

C’est un regard nouveau sur le monde que permettent ces nouvelles technologies. Par exemple, une réflexion est en cours actuellement avec un acteur pour, lors de son prochain spectacle de théâtre, avoir une captation de l’information en 360° sur scène pendant la pièce. Le spectateur ne serait plus confiné à une place unique avec un champ de vision unique, mais pourrait se déplacer sur scène, choisir parmi les captations faites et voir au plus près tout autour de lui la pièce.

On peut aller plus loin, et c’est une réflexion en cours avec un réalisateur pour son prochain film, en incluant le spectateur qui aurait aidé à financer le film, sous forme de NFT dans le film lui-même, par une modification digitale d’un des figurants de ce film. Le spectateur devient « spect’acteur ». C’est une révolution copernicienne pour le cinéma que d’autoriser à tous l’entrée dans le grand écran.

Pour les musées, on peut penser que la diffusion de la culture sera bien plus puissante. Par exemple, Miro, qui a beaucoup écrit sur la mystique à l’œuvre dans tout son travail, peut être reconstruit sous forme d’avatar pour commenter et éventuellement tenir une conversation avec les personnes qui vont venir à une de ses expositions ou tout simplement consulter ses œuvres à distance.

Mais le cœur de la révolution attendue va venir de ces avatars que l’on pourra aussi faire à notre image pour accélérer l’apprentissage. Ou bien à celle d’une personnalité sportive qui pourrait enseigner les maths si cela s’avère le plus efficace pour l’éducation.

Pourquoi créer l’association
france meta ?

La motivation est venue de cette déclamation par Mark Zuckerberg de ce qu’était le métavers. À cette pensée unique ou monothéiste, il nous a semblé utile pour la France d’avoir d’autres éclairages sur ce que pouvait être le métavers comme des métavers 2D proposés par Gather.now ou Workadventu.re, et qui suffisent dans la plupart des cas. L’activité principale est de participer à des salons, répondre à des interviews, écrire des
articles pour partager tout ce qui est pertinent et innovant dans cet élan Web3.

Et pour cela, nous ne travaillons pas isolés et avons choisi la voie de la coopération avec d’autres initiatives. Mais c’est complexe à chaque fois, la question du nom, la question de la gouvernance, la question des objectifs poursuivis. En tous cas, l’ambition de France Meta est de faire avancer la réflexion en répondant, par exemple, à des questions comme les autres. Nous défendons l’idée que c’est un univers passionnant, que les technologies immersives ont un potentiel aussi fort qu’Internet en 1993. Et nous restons attentifs au fait que la technologie n’est pas totalement au point, que l’impact écologique doit être pris en compte. Et nous restons polythéistes sur les combinaisons de technologies, ne cherchons pas des souverainetés où c’est trop tard, et nous souhaitons que soit définie une éthique avant une régulation.

Ce que l’association France Meta ne fera pas, c’est travailler pour des intérêts purement commerciaux. Elle doit chercher à valoriser des initiatives qui le méritent, et semblent porteuses de sens et à même d’être des réponses à des problèmes : lutter contre les dérèglements climatiques, contrer l’isolement dans la population senior qui va bientôt représenter un tiers de la population, favoriser l’apprentissage à l’école.

Quelle place pour les technologies
et les savoir- faire français ?

La liste des technologies et des savoir-faire des entreprises françaises est longue à faire. Les start-up sont présentes, les financements aussi. Il manque néanmoins une vision politique claire et éclairée sur ce sujet Web3 ou métavers. Les propositions faites dans le cadre de l’AMI de France 2030 pour avoir un “métavers as a service” qui serait le WordPress du Web3, ou bien encore « l’université européenne de l’innovation cinématographique » qui intègre les effets spéciaux et la possibilité pour tout un chacun de devenir figurant dans n’importe quel film (par remplacement dans la copie digitale), n’ont pas su éveiller un intérêt justifiant la subvention malgré un impact assez évident.

À l’échelle européenne, en dehors de quelques initiatives nationales, nous voyons bien peu de sources d’inspiration, et sommes plutôt étonnés du réflexe de régulation qui vient à nouveau de nos instances européennes. Il n’a toujours pas été compris qu’il ne sert à rien de freiner ou d’encadrer des pratiques à leur naissance. Il est bien plus efficace de prendre de l’avance et d’orienter leur application vers des utilités plus souhaitables pour notre civilisation. La régulation doit venir ensuite pour éviter les distorsions ou contournements évidemment mis en œuvre par certains.

N’est- ce finalement qu’une mode
pour certains investisseurs ?

Oui, certains comme la société américaine Meta sont partis bien trop vite pour, peut-être, trouver une solution à leur baisse d’audience, ce que l’on appelle en entreprise des relais de croissance. L’adoption massive est déjà là avec le gaming et ses 500 millions d’utilisateurs mensuels. Et ce sont des applications spécifiques comme celles mentionnées ci-avant qui vont permettre un élargissement progressif et fort au-delà des gamers. Pour l’internet et le e-commerce, c’est le voyage qui a joué ce rôle-là à partir de 2002. Pour
les métavers, ce pourraient être les rencontres ou les univers éducatifs boostés par les avatars et l’IA, qui pourraient ouvrir la voie à cette propagation à plus de deux milliards de personnes.

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