Par Sylvie SANCHEZ
Artiste plasticienne

Les mondes virtuels, qu’ils soient pour créer le métavers ou des jeux vidéo, sont conçus pour répondre à un besoin standard, marginalisant, comme dans le monde réel, les personnes en situation de handicap. Alors, comment espérer des univers virtuels accessibles à tous ? C’est à ces enjeux que l’association Créative Handicap, au travers de sa formation C.I.A.R.A. (Création, intelligence artificielle, réalité augmentée), répond en formant des jeunes en situation de handicap aux métiers de la création numérique. L’accessibilité, la représentation du handicap, des nouvelles sensorialités à explorer, mais aussi les possibilités infinies des nouvelles technologies et les nouveaux métiers qui en découlent sont autant d’opportunités à saisir pour les personnes handicapées, à partir du moment où on leur donne la possibilité d’en être acteurs.

Notre époque est entrée depuis bientôt vingt ans dans ce qu’il convient d’appeler « la révolution numérique ». Comme toute révolution, celle-ci apporte de nouveaux avantages, de nouveaux horizons et de nouveaux possibles incontestables et utiles. Quelle est la place des personnes en situation de handicap au milieu de cette révolution numérique et dans les mondes virtuels qu’elle crée ?

connaître et maîtriser les outils
de création numériques

Tout d’abord, pour trouver sa place quelque part, il faut se sentir bien intégré(e) dans un milieu. Il faut donc nécessairement connaître et maîtriser les outils informatiques, voire les adapter pour que les personnes en situation de handicap puissent en tirer tous les bénéfices. C’est cette mission, entre autres, que s’est assignée l’association Créative Handicap fondée en 2004 par Sylvie Sanchez, artiste plasticienne.

Créative Handicap met en œuvre tout ce qui concoure à l’inclusion socio-professionnelle des personnes en situation de handicap et valides par le biais de l’enseignement artistique, numérique et la formation professionnelle, afin de rendre le numérique accessible aux plus défavorisés, de changer le regard sur le handicap et de lutter contre toutes les formes de discriminations et d’exclusions.

Pour ce faire, l’association s’appuie sur une palette de moyens afin de favoriser l’accessibilité, indispensable à l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap. Ainsi ont été développés des ateliers de pratiques artistiques et numériques accessibles à tous, des sensibilisations aux handicaps, des partenariats avec des établissements spécialisés, de l’accompagnement personnalisé pour les jeunes décrocheurs scolaires, des ateliers de pratiques numériques pour les séniors.

Dix-neuf ans de recherches sur les pédagogies accessibles à toutes les formes de handicap, dix-neuf ans d’activités dites « inclusives », ou simplement de solutions pour créer, apprendre et travailler ensemble.

L’implication citoyenne de Créative Handicap a été reconnue par différentes instances comme le CNCPH1, le conseil d’administration du CCAS2 de la ville de Nanterre, la commission départementale d’accessibilité des Hauts-de-Seine… Elle a également été auditionnée par le CNNUM3 pour l’inclusion numérique des publics isolés, et par le CESE4 sur ses pratiques pédagogiques inclusives.

À partir de 2019, une nouvelle dimension a été prise par Créative Handicap avec la mise en place et le développement de la formation professionnelle gratuite en média 3D et design graphique « Supermakers 2.0 », à destination des jeunes autistes de 17 à 26 ans. La qualité de cette formation et des femmes et des hommes qui s’y consacrent a été saluée par le ministère du Travail via sa labellisation par la Grande École du Numérique. La formation a obtenu le soutien du PRIC5 et de la Fondation Orange.

Ce projet, innovant et expérimental, a conforté l’équipe de Créative Handicap dans l’idée que les nouvelles technologies sont des outils d’apprentissage incroyablement riches et adaptés à des personnes éloignées des scolarités dites normales. Forte de ce succès, des résultats probants constatés et appuyés par l’expertise de terrain de cette formation, l’association, en 2021, a mis sur pied la formation C.I.A.R.A. (Création, intelligence artificielle, réalité augmentée). Cette formation professionnelle, gratuite, accessible, vise à doter les bénéficiaires de compétences numériques pour accéder au marché du travail en constante évolution : jeux vidéo, animation 2D / 3D, réalité augmentée et réalité virtuelle.

L’offre de formation qualifiante ou encore les débouchés professionnels proposés aux personnes en situation de handicap demeurent bien trop insuffisants, ou ne sont pas accessibles et adaptés aux besoins de chacun. C’est l’un des chantiers auxquels Créative Handicap veut apporter son expertise pour répondre aux attentes des personnes en situation de handicap.

Un des mérites de cette formation, c’est qu’elle intègre et prend en compte les spécificités et le rythme d’apprentissage de chacun. Chaque apprenant est unique, et bénéficie d’un suivi et d’un accompagnement adapté à son handicap et / ou ses difficultés.

L’équipe pédagogique de Créative Handicap est constituée de formateur en AR/VR (réalité augmentée et réalité virtuelle), de formateur en modélisation 3D, de designer graphique / web designer, de professeur de dessin (dessinateur), de scénariste (auteur), de conseiller psychopédagogique, des instances dirigeantes présentes et impliquées.

Du côté des moyens techniques, l’association a consacré une importante réflexion et un investissement important, car l’utilisation de différents logiciels de création numérique peuvent parfois être difficiles à comprendre. C’est ainsi que les enseignants de l’équipe ont développé des supports pédagogiques en FALC6, des tutoriels et de nombreux « pas à pas » pour des logiciels de modélisation 3D ou de programmation visuelle qui vont servir à programmer et définir les interactions de jeux multiplateformes (pour smartphones,
ordinateurs, consoles de jeux vidéo et web
) ou de graphisme utilisés dans l’industrie du jeu vidéo, aussi bien par les grands studios que par les créateurs indépendants.

Pour cette formation, l’association met à disposition des apprenants un équipement informatique de dernière génération de niveau professionnel. Et pour être en cohérence avec les valeurs défendues par Créative Handicap, l’association a fait le choix de « fabriquer » ses ordinateurs avec l’aide de jeunes de la formation. En fabriquant nos propres ordinateurs, nous avons divisé par trois leur coût ; nous ne sommes plus sous le joug de l’obsolescence programmée (leur durée de vie est estimée à 10 ans). De plus, nos jeunes ont appris les fonctions des pièces composant un ordinateur, les rendant consommateurs avertis pour leurs achats d’ordinateurs à venir. Nous disposons donc pour la formation d’ordinateurs puissants équipés pour la réalité augmentée et la réalité virtuelle, de casques de réalité virtuelle, d’imprimantes 3D, de nombreux matériels informatiques dédiés à la création.

Les publics visés par notre formation sont des jeunes et adultes, femmes et hommes, de 18 à 30 ans, en situation de handicap (avec une RQTH7) quel que soit leur handicap, dont les TSA8. Il faut préciser que nous pouvons former des personnes malvoyantes dont la limitation visuelle leur permet, avec des outils de compensation, de pouvoir « voir » les écrans. Par contre, il nous est impossible d’accueillir des personnes non voyantes, car les logiciels existants n’ont pas été créés pour être accessibles aux synthèses vocales (JAWS9, NVDA10 ou touche narrateur sur Windows). Les apprenants sont de niveau infra bac, demandeurs d’emploi ou décrocheurs scolaires. Ils doivent savoir lire et écrire, ainsi que maîtriser l’outil ordinateur de base. Ils proviennent de toute la France.

L’objectif que s’est fixé Créative Handicap pour cette formation est d’accueillir non seulement des personnes en situation de handicap, mais aussi d’assurer une mixité des profils en sollicitant aussi des jeunes en situation de décrochage scolaire, dans l’inactivité, n’ayant pour la majorité d’entre eux pas trouvé leur place dans le système scolaire classique.

Très investie dans l’univers numérique, l’association est vigilante à suivre la constante évolution des métiers du design numérique, notamment quant à leur potentiel d’offres d’emploi pour leurs apprenants. La formation dispensée par Créative Handicap s’adresse à tous les secteurs d’activité du numérique pour des emplois tels que : Animatrice(teur) 3D / Modélisatrice(teur) 3D / Conceptrice(teur) artistique communication multimédia / Conceptrice(teur) de jeux vidéo / Conceptrice(teur) multimédias / Game designer et Level
designer
pour jeux vidéo, jeux online / Designer graphique / Infographiste webmaster / Web designer

Pourquoi orienter des jeunes
en situation de handicap vers les métiers
de la création numérique et des mondes virtuels ?

Le secteur du numérique

Une véritable opportunité pour les personnes
en situation de handicap

Les métiers du numérique, plutôt sédentaires, avec peu d’interactions sociales, correspondent parfaitement et simplifient les choses, notamment pour les personnes ayant des troubles du spectre autistique, un haut potentiel intellectuel, une hypersensibilité, des troubles DYS (dyslexie, dysorthographie et dysgraphie), troubles de l’attention, etc., ou avec un handicap psychique. Leurs capacités de mémorisation, d’analyse, leur esprit de créativité, leur attention pour les détails et leur goût pour l’informatique font d’eux des candidats parfaits, pour peu que les pédagogies soient accessibles. Ces profils, souvent attirés naturellement par l’informatique, sont presque toujours autodidactes, mais complètement exclus du système classique de l’emploi et de la formation. C’est une population fortement touchée par le chômage. Le numérique peut donc constituer un véritable tremplin pour ces personnes.

Une occasion de transformer le handicap en atout
et de changer les mentalités

Aujourd’hui, le secteur du numérique est en pleine expansion. Il constitue un réel vivier d’emplois, avec des opportunités nombreuses dans bien des domaines. Et pourtant, le constat est clair : cette filière est touchée par une grande pénurie de main-d’œuvre. Les entreprises sont sans cesse à la recherche de nouveaux profils et de nouveaux talents.
Malheureusement, nous sommes face à un paradoxe injustifié, d’un côté, un besoin de nouveaux talents, de l’autre, une méfiance vis-à-vis des compétences des personnes en situation de handicap, ne permettant pas le plein-emploi de ces jeunes.
Créative Handicap relève ainsi plusieurs défis : celui de faire monter en compétences des jeunes très éloignés de l’enseignement, mais aussi, par les nombreux partenariats que l’association noue avec les entreprises, de contribuer à favoriser leur emploi, en faisant connaître et reconnaître les compétences de nos apprenants.

Le handicap et les mondes virtuels

Au sein de la formation C.I.A.R.A., nous avons constaté que, pour nos apprenants en situation de handicap, les jeux vidéo et les mondes virtuels sont la possibilité d’expérimenter certaines sensations stimulant les sens et leurs capacités d’utilisateur, générant de nouvelles sensations et émotions, favorisant un apprentissage plus motivant et pratique, mais aussi des interactions sociales trop souvent inexistantes.
Cette reconnaissance du jeu vidéo et des mondes virtuels comme objet culturel est essentielle.
Il nous est donc apparu indispensable que, plutôt que de subir des univers créés par les « valides », les jeunes de la formation devaient se les approprier et apprendre à créer les leurs, trouvant aussi leur place dans ces mondes naissants.
Comment ? En créant des avatars à leur image, en apprenant et en mettant en place des solutions d’accessibilité avec les directives du WCAG ou du RGAA (normes française d’accessibilité du web applicables aux mondes virtuels), afin de penser nativement tous ces univers en accessibilité universelle. Mais aussi, grâce à l’immense diversité de gameplay qui permet de jouer, d’incarner des personnages avec un handicap, visible ou invisible. Pour donner à ceux qui veulent rester eux-mêmes la possibilité de s’afficher en tant que
tels, ou pour les personnes qui ne sont pas en situation de handicap de tester des sensorialités différentes dans un jeu vidéo ou un monde virtuel.
Pour conclure, les mondes virtuels s’orientent vers une reproduction de notre quotidien, avec des interactions sociales, des achats, des activités culturelles et éducatives ou professionnelles. Malgré la présence de normes et de lois, d’une technologie offrant une multitude de possibilités, l’accessibilité est encore considérée comme un défi. Il est donc urgent de diversifier les équipes de production pour que ces nouveaux univers soient conçus avec et par des personnes handicapées, et plus seulement pour elles, afin de sortir des clichés
et d’une représentation encore trop faible.

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