Par Didier PILLET
Membre permanent du Conseil général de l’économie

Dans le cadre de la transition énergétique et du processus de décarbonation de l’économie, les énergies « bas-carbone » sont appelées à jouer un rôle de premier plan. On pense bien sûr aux énergies renouvelables telles que le photovoltaïque et l’éolien, ainsi qu’au nucléaire dont l’empreinte carbone reste à ce jour relativement basse. Cependant, s’agissant de l’implémentation de leurs infrastructures de base, ces systèmes énergétiques restent pour l’heure encore fortement dépendants des énergies fossiles. Ces dernières présentant encore de nos jours des ratios énergétiques (EROI) relativement favorables, ce qui influe sur les EROIs des systèmes photovoltaïques et éoliens, et qui conduit à surestimer leurs performances énergétiques. Un regard attentif des principes physiques à la base de l’évaluation des EROIs de ces deux systèmes, fondés tous les deux sur l’exploitation de flux énergétiques, permet par ailleurs de mieux cerner leur potentiel réel sur le plan des performances énergétiques. Un éclairage est tout particulièrement apporté concernant le photovoltaïque pour ce qui concerne le périmètre à prendre en compte dans l’évaluation de l’énergie consommée dans le cadre de l’implémentation de ce système énergétique. Enfin, la façon dont intervient la notion de rendement dans l’évaluation des EROIs, une notion particulièrement sensible pour ce qui concerne la production de l’hydrogène, fait ressortir toute l’importance qu’il y a à disposer d’une base énergétique sous-jacente à la fois abondante, bon marché, et présentant des EROI relativement élevés, autant d’éléments indispensables à la bonne marche de l’économie, et qui complique singulièrement le processus de sa décarbonation.

Introduction

Le calcul de l’EROI (Energy Return Over energy Invested ou Taux de Retour Énergétique, TRE, en fran-
çais) est souvent présenté comme devant nécessairement aboutir à des valeurs supérieures à l’unité mais
est-ce toujours le cas ? Et un EROI inférieur à l’unité fait-il sens ? Que se passe-t-il lorsque plusieurs formes
d’énergie interviennent dans le calcul de ce ratio ? Par ailleurs, quels liens peut-on établir entre la notion
d’EROI, dont on s’attache d’une manière générale à vérifier qu’il est bien supérieur à l’unité, et la notion de
rendement intervenant dans les processus physique de conversion, dont on sait qu’il présente des valeurs systématiquement inférieures à l’unité ? Dans cet article, nous serons amenés à revisiter quelques principes
physiques qui, de manière générale, sous-tendent le fonctionnement des systèmes énergétiques à la base
du fonctionnement de nos sociétés.

Nous aborderons ces questions à travers quelques exemples emblématiques, en traitant notamment le cas du photovoltaïque et de l’hydrogène, actuellement au cœur des stratégies de transition énergétique et de décarbonation, stratégies dont nous examinerons les conditions de réalisation, en se replaçant dans une perspective élargie à l’ensemble des énergies bas-carbone.

Une énergie présentant
un EROI inférieur à l’unité :
est-ce problématique ?

La notion d’EROI1 est, de manière classique, souvent illustrée par la nécessité pour un être vivant de ne pas
dépenser plus d’énergie dans la recherche de sa nourriture, que celle nécessitée par son métabolisme. De la
même manière, transposé dans le cadre du fonctionnement d’une économie, ce principe implique que l’éner-
gie dépensée pour extraire l’énergie indispensable au fonctionnement de cette économie n’excède pas
la quantité minimale nécessaire au maintien de cette dernière.

Pourtant, en prenant l’exemple du secteur alimentaire2, ce n’est pas ce que l’on observe dans la mesure où,
au sein des pays développés tout au moins, le ratio dit « de la fourche à la fourchette » peut aller jusqu’à des valeurs de l’ordre de 1 à 83. Autrement dit, dans ce cas extrême, pour une calorie arrivant dans l’assiette,
l’ensemble de la filière aura dépensé l’équivalent énergétique de 8 calories.

L’explication de ce qui peut paraître une anomalie se trouve, on le sait, dans la très forte dépendance de
cette filière aux énergies hydrocarbonées, à savoir le pétrole et le gaz, ce qui, par exemple, peut faire dire
à certains que l’agriculture devrait en fait être définie comme une sorte de « pétroculture », tant est grande
cette dépendance. À y regarder de plus près, on assiste en fait, dans ce cas précis, à une conversion énergé-
tique passant d’une énergie hydrocarbonée, à une énergie protéinique. Et comme dans tout processus de
conversion d’une forme d’énergie en une autre, il existe des pertes que l’on traduit par un rendement, dont la
valeur est systématiquement inférieure à l’unité.

Ces pertes sont bien sûr payées par le surplus énergétique procuré, de manière sous-jacente, par les
systèmes énergétiques présentant des ratios énergétiques favorables, au premier rang desquels figurent les
systèmes pétroliers, gaziers, mais aussi charbonniers. Ces systèmes ont en plus la particularité d’offrir des
quantités d’énergie à la fois abondantes et relativement peu chères, tout au moins encore pour les deux à trois décennies à venir, et en excluant bien entendu les fluctuations conjoncturelles des prix de l’énergie.

Par ailleurs, pour ce qui concerne en particulier le secteur alimentaire, si des énergies fossiles abon-
dantes et peu chères contribuent effectivement à procurer une alimentation abondante, et surtout bon marché, sa dépendance aux énergies hydrocarbonées ne tarde pas à se signaler par une flambée des prix alimentaires lorsque les prix de ces énergies subissent eux-mêmes une envolée. C’est par exemple ce qui s’est produit 2007-2008 avec la forte augmentation des prix du pétrole, et qui s’est traduit par ce que l’on a appelé les émeutes de la faim.

Plus récemment la brusque montée des prix du gaz observée en 2021-2022 a, cette fois-ci, entraîné une
pression passagère à la hausse du prix des engrais azotés, ce qui, prolongé sur une plus grande période,
ne manquerait pas de se répercuter sur les prix pratiqués tout le long de la chaîne de production alimentaire.

On voit donc que, pour un système énergétique donné, un EROI inférieur à l’unité peut faire sens si l’on considère qu’il correspond à une conversion énergétique permettant de produire une énergie sous une forme utile à une application donnée. Ainsi, si le gaz et le pétrole ne sont pas assimilables tels quels par un organisme vivant, leur utilisation dans le convertisseur constitué de l’ensemble de la chaîne alimentaire permet d’obtenir la forme d’énergie appropriée pour ce même organisme.

On l’a vu avec l’alimentaire, mais on pourrait également, autre exemple parmi bien d’autres, évoquer la fabrication de carburant synthétique à partir de charbon (CTL, ou Coal to Liquid) qui est un autre type de conversion énergétique, permettant cette fois-ci de produire une forme d’énergie assimilable par un moteur à combustion interne. Il y a là aussi un prix énergétique à payer, celui correspondant aux pertes de conversion, ces dernières se traduisant, comme on l’a vu, par un rendement inférieur à l’unité.

Le point important à retenir pour toutes ces configurations d’EROI inférieur à l’unité, c’est qu’elles ne sont
pas nécessairement problématiques, mais qu’elles ne peuvent être viables énergétiquement et économi-
quement que dans la mesure où elles sont supportées par des sources d’énergie, à la fois abondantes, bon
marché et présentant des ratios énergétiques importants. C’est bien sûr, comme signalé plus haut, le rôle
joué actuellement, et en tout premier lieu par les énergies fossiles : pétrole, gaz, mais aussi charbon.

Qu’en est-il d’une énergie
présentant un EROI
supérieur à l’unité ?

On pourrait affirmer d’emblée d’une énergie dont l’EROI est supérieure à 1 qu’elle ne pose a priori pas
de problème de viabilité. Qu’en est-il en réalité ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur ce qui a
permis, et qui permet encore, l’obtention de ces ratios énergétiques supérieurs à l’unité.

Tout d’abord un constat : en matière énergétique, aucune transformation, ni aucune conversion ne peut
se réaliser sans pertes. Cette affirmation est une simple conséquence des lois de la physique, en l’occurrence
celles de la thermodynamique, qui nous autorisent ici à généraliser les observations faites à partir des quelques exemples donnés plus haut. Dit autrement, les processus de conversion énergétique présentent tous, systématiquement, des rendements inférieurs à l’unité.

Comment alors expliquer l’existence d’EROIs supérieurs à l’unité ? Ce paradoxe n’est bien sûr qu’appa-
rent comme on va le voir dans deux contextes particuliers, à savoir : le cas des énergies de stock, et celui des
énergies de flux.

Le cas des énergies de stock

Si l’on considère les énergies fossiles, pétrole, gaz et charbon, on parle volontiers, et à juste titre, d’éner-
gie de stocks. Des stocks, fort importants par ailleurs, qui ont été constitués sur des périodes de l’ordre de
dizaines de millions d’années, et qui sont à l’origine le résultat de processus de conversion énergétique pré-
sentant des rendements de quelques pourcents. Ce sont là des rendements similaires à ceux observés lors
de la conversion du rayonnement solaire en matières organiques et végétales, celles-ci assurant par là
même une fonction de stockage de l’énergie solaire. Des rendements certes faibles, mais qui sur des durées
de l’ordre de dizaines de millions d’années ont conduit à la constitution des stocks très importants de matières énergétiques fossiles que nous avons appris à exploiter pour assurer à la fois notre développement économique, ainsi que les progrès techniques qui ont permis la progression de notre niveau de vie.

Du point de vue de la comptabilité énergétique, ces stocks ont pu être exploités en ne considérant que le
coût énergétique associé à leur extraction, leurs contenus énergétiques intrinsèques pouvant être considérés
comme un cadeau de la nature, et donc gratuits d’un point de vue économique. C’est ainsi que, à ses débuts
dans les années 1930, le développement de l’industrie pétrolière au Texas a pu présenter un ratio énergétique (EROI) de l’ordre de 100 :1 en sortie de puits, c’est à dire que pour extraire 100 barils de pétrole, il n’en coûtait qu’un seul baril. On constate depuis une lente érosion de ce ratio, traduisant la difficulté croissante qu’il y a à extraire ce pétrole dont les gisements exploités sont de plus en plus profonds et difficiles d’accès.

Ce qui est dit ici avec le pétrole peut être repris pour le charbon et le gaz naturel, dont les stocks ont été
de la même manière constitués sur de très grandes périodes, selon des processus présentant des rende-
ments relativement faibles, et dont on jouit actuellement sans contrepartie aucune, si ce n’est à travers les coûts minimaux, à la fois économique et énergétique, nécessités pour leur extraction.

Pour ce qui concerne l’uranium dont on tire de l’énergie très majoritairement à partir de l’235U, l’un de ses isotopes, la constitution de ses stocks est de nature très différente de celle des énergies fossiles. Ceux-ci se sont en effet constitués à la suite de l’effondrement du cœur d’étoiles massives, donnant lieu aux événements de type « supernovæ » intervenant à partir de la fusion du fer, les mécanismes de fusion nucléaire des éléments au-delà du fer étant endothermiques. La matière externe de ces étoiles, soufflée par l’onde de pression générée par le contre-choc de la matière interne se fracassant sur le cœur, est alors traversée, durant une poignée de secondes, par un énorme flux de neutrinos et de neutrons, ces derniers étant à l’origine de la formation des éléments plus lourds que le fer, dont l’uranium, par captures successives. Comme pour les autres énergies de stocks évoquées ci-dessus, la ressource uranium est également soumise à un phénomène de déplétion, conduisant de la même façon à une lente érosion des ratios énergétiques de cette filière énergétique4.

Le cas des énergies de flux

Avec les énergies de flux, il ne s’agit plus d’extraire des matières énergétiques, mais de capter l’énergie portée par un flux. Cela s’accompagne généralement d’une conversion d’une forme d’énergie à une autre.

C’est ainsi le cas du rayonnement solaire capté par un ensemble de cellules photovoltaïques dont la fonction
est de transformer le rayonnement électromagnétique du flux solaire, en électricité. Du point de vue énergé-
tique, et pour être plus précis, l’opération consiste à convertir l’énergie des photons émis par une source
lumineuse (ici le soleil), en une énergie électrochimique qui consiste à faire passer les électrons présents au
sein de la cellule, d’un niveau de potentiel électrique, à un niveau supérieur, permettant ainsi la circulation d’un courant électrique lorsque les deux pôles du groupe de cellules sont refermés sur un récepteur.

Nombre d’exemples pourraient être donnés pour illustrer la séquence captation-conversion. Parmi ceux-
ci, on peut bien sûr citer les systèmes éoliens où de l’énergie mécanique, portée par l’air en mouvement,
est convertie là aussi en électricité, mais selon un autre principe que dans le cas du photovoltaïque, en l’occurrence celui basé sur l’induction magnétique. Un autre exemple intéressant est celui des grands barrages hydroélectriques où c’est cette fois-ci de l’énergie gravifique qui intervient en convertissant l’énergie potentielle de gravitation, en énergie mécanique, elle-même convertie en énergie électrique par turbinage de l’eau de pluie captée sur l’ensemble du bassin versant du cours d’eau alimentant le barrage.

Pour chacun des systèmes énergétiques basés sur des énergies de flux, le calcul de l’EROI tire avanta-
geusement partie du caractère gratuit, au sens monétaire et énergétique, de l’énergie associée à ces flux
(par exemple, solaire, éolien, hydroélectricité)5. Cela conduit généralement à des ratios supérieurs à l’unité.
Ceux-ci seront plus ou moins importants selon les rendements associés aux processus de conversion, ainsi
que selon la quantité d’énergie utilisée lors des phases de construction des infrastructures et d’exploitation de ces dernières.

Si l’on devait illustrer les propos ci-dessus à partir d’un système énergétique, le cas de la pompe à chaleur
(PAC) s’y prêterait fort bien. Ainsi, à partir du schéma simplifié de principe d’une PAC en mode chauffage (voir
la Figure 1 de la page suivante), on voit que l’expression du Coefficient de performance (COP), e = Q2/W,
ne fait intervenir que la chaleur utile Q2, ainsi que le travail W qui est l’unique composante « payante »,
au sens économique, de l’expression du COP. En revanche, la chaleur Q1, qui est fournie par l’environne-
ment extérieur, est considérée comme gratuite et n’intervient donc pas dans le calcul du COP. Ce prélève-
ment de chaleur est bien sûr compensé par les apports de chaleur extérieurs, comme l’énergie solaire.
On aura noté au passage la relation Q2 = Q1 + W qui est la traduction du principe de conservation de l’énergie,

Figure 1 : Échanges énergétiques lors du fonctionnement d’une PAC en mode chauffage (Source : http://www.ef4.be/fr/pompes-a-chaleur/copy_ types-de-pac).

et qui correspond au premier principe de la thermodynamique. Mais le second principe de la thermodyna-
mique n’est pas bien loin. En effet, le schéma ci-contre, dans sa présentation de la PAC, peut être considéré
comme décrivant une situation de fonctionnement idéal, c’est-à-dire sans pertes, et caractérisé par des rendements égaux à l’unité. En réalité, il n’en est rien comme l’illustre la Figure 2 ci-dessous où l’on notera l’influence du périmètre d’évaluation du COP sur les performances de la PAC.

Quelques considérations
annexes sur l’EROI

On notera au préalable que si l’évaluation de l’énergie obtenue par un système énergétique ne pose généra-
lement pas de difficulté particulière, il n’en va pas de même de l’énergie relative aux phases de construction/
exploitation du système énergétique en question. C’est ce que nous allons illustrer dans les paragraphes qui
suivent avec le cas du photovoltaïque, avant d’examiner les enjeux attachés à l’hydrogène dans le cadre
de la transition énergétique et de la décarbonation de l’économie.

Impact des consommations énergétiques
associées au photovoltaïque

omme on l’a évoqué ci-dessus, pour un système énergétique, quel qu’il soit, la difficulté majeure rela-
tive à l’évaluation d’un ratio énergétique tel que l’EROI, réside dans l’évaluation du périmètre à prendre en
compte dans les phases de construction et d’exploitation du système dans son ensemble. C’est notamment le cas du photovoltaïque où la fourchette des valeurs avancées dans la littérature s’avère très large.

Figure 2 : Coefficients de performance pour une PAC Air-Air, avec une température intérieure de 19°C (Source : La pompe à chaleur, Jacques Bernier, 2004, Éd. PYC Livres).

Périmètre associé à la partie haute
de la fourchette de valeurs de l’EROI

Dans la partie haute de la fourchette des EROIs du photovoltaïque, on trouve les études traditionnelles
d’analyse du cycle de vie et de délai de retour de l’énergie des systèmes solaires photovoltaïques.

Celles-ci donnent souvent des estimations assez favorables, à savoir que l’énergie investie dans la construc-
tion de capteurs solaires peut être « remboursée » par le dispositif en un ou deux ans. Ainsi, si la durée de vie
des capteurs est de 25 ans, une hypothèse courante, cela donne un retour sur investissement énergétique
compris typiquement dans une fourchette allant de 12:1 à 25:16, ce qui représente des ratios plutôt favorables. N.B. : la notation utilisée, ici et dans le reste de l’article, pour le calcul de l’EROI indique que ce ratio se rapporte toujours à l’unité.

Cependant, ces analyses ne se concentrent généralement que sur les processus de base de la fabrica-
tion de lingots, de wafers, de cellules et de modules7, bien qu’elles incluent parfois les coûts énergétiques
des équipements directs associés tels que : onduleurs, trackers8, et, le cas échéant, les structures métalliques.

Périmètre associé à la partie basse
de la fourchette de valeurs de l’EROI

L’évaluation exhaustive des consommations énergétiques intervenant dans la construction et l’exploitation
d’un système énergétique quel qu’il soit, nécessite d’aller plus loin que la prise en compte des consomma-
tions énergétiques des processus de base de la fabrication des éléments constitutifs de ce système. À titre
d’exemple, s’agissant de l’évaluation de l’EROI associé

au solaire photovoltaïque en Espagne, une démarche intéressante a été entreprise dans ce sens par Pedro
Prieto et Charles Hall9. Celle-ci a consisté en l’utilisation de l’ensemble des données tirées de la réalisation
de grands projets photovoltaïque espagnols, durant la période allant de 2009 à 2011.

Ainsi, afin d’évaluer ce ratio aussi précisément que possible, Pedro Prieto, alors en charge de ces grands
projets, a dépassé le simple inventaire des consommations directes d’énergie en élargissant le périmètre des
données énergétiques prises en compte dans l’évaluation de l’EROI, ce qui conduit naturellement bien sûr
à diminuer le ratio établi à partir des consommations énergétiques des processus de base.

Pour cette analyse, outre les évaluations des dépenses énergétiques directes, les activités connexes au secteur du photovoltaïque ont été prises en compte, allant des simples activités de terrassement, aux activités financières attachées à la réalisation des projets pilotés par Pedro Prieto, en passant par l’impact associé à l’utilisation de centrales à gaz pour gérer l’intermittence de la production photovoltaïque. Lorsque les évaluations des consommations énergétiques des différents postes considérés se sont avérées malaisées, voire impossibles, l’analyse s’est appuyée sur les montants des dépenses effectuées dans chacun de ces postes. Pour cela un tableau de conversion « énergie<>monnaie » a été utilisé, en distinguant les grands secteurs économiques et industriels.

Au final, la valeur de l’EROI du photovoltaïque obtenue, à l’aide de cette méthodologie, par les auteurs de
l’étude, est de l’ordre de 2,45:1, soit une valeur proche de celle obtenue par ailleurs par Murphy et al. (2011).
Cette valeur s’avère en outre similaire à celle obtenue par ces deux auteurs, en évaluant les coûts énergé-
tiques par la simple multiplication du coût monétaire d’un projet d’un gigawatt, par l’intensité énergétique
de l’économie espagnole, soit un EROI de l’ordre de 2,41:1.

Toutefois, dans cette approche, conscients de possibles imprécisions, ou autres biais tels que les double
comptages, Pedro Prieto et Charles Hall ont réalisé une étude de sensibilité de la méthode, ce qui les a conduit à proposer une fourchette d’évaluation de l’EROI du photovoltaïque espagnol comprise entre 1:1 et 7,35:1.

Par comparaison avec la fourchette comprise entre 12:1 et 25:1 donnée plus haut, ces résultats montrent la
nécessité qu’il y a, pour le calcul des EROIs, à prendre en compte de manière aussi exhaustive que possible
les contributions indirectes de l’énergie consommée dans les phases de construction et d’exploitation d’un
système énergétique.

Le photovoltaïque : une filière
reposant encore trop sur les fossiles

À ce jour, la construction d’un système photovoltaïque, qui nécessite de disposer d’énergie, et de matières
premières, repose encore fortement sur la disponibilité d’énergies carbonées, que ce soit pour générer
l’électricité nécessaire à tous les étages des processus de fabrication, ou bien encore pour générer la chaleur
nécessaire à la transformation de la matière brute pour, par exemple, la fabrication de lingots, sans oublier
l’énergie utilisée pour alimenter toute la machinerie de l’extraction et du traitement des minerais.

Ainsi, dans un monde où le mix électrique serait quasiment composé de systèmes d’énergie renouvelable,
du type photovoltaïque, il faudrait que ces derniers assurent tous les services aujourd’hui assurés par les
énergies fossiles, ce qui, à l’évidence, dégraderait les ratios énergétiques du photovoltaïque, un système
énergétique dont on a pu noter le peu de marge disponible. Cela fait ressortir une fois de plus toute l’im-
portance de disposer d’un socle énergétique à la fois ample, peu onéreux et présentant des EROIs confor-
tables, ce dont on bénéficie actuellement avec les trois énergies fossiles que sont, en premier lieu le pétrole,
puis le gaz et enfin le charbon.

Pour sortir véritablement cette filière de la dépendance des fossiles, il apparaît donc nécessaire, sans
qu’a priori cela soit pour autant suffisant, de continuer à travailler sur l’amélioration des rendements des cel-
lules, ce qui augmenterait mécaniquement la quantité d’énergie convertie, et donc l’EROI. Sur ce plan, les
développements observés ces dernières années font apparaître des progrès en matière de rendement uni-
taire, comme illustré par la Figure 3 ci-dessous, où l’on note en particulier l’émergence de technologies pro-
metteuses telles les perovskites10, et surtout les cellules tandem perovskite/SI, avec des rendements atteignant respectivement à ce jour 26 et 33 %.

Ces progrès s’accompagnent également d’une réduction du volume des matières nécessaires à la fabrica-
tion de ces cellules, ce qui réduit d’autant les consommations énergétiques lors de la fabrication de ces
dernières, et améliore donc l’EROI associé à ces filières technologiques.

L’hydrogène dans le cadre
de la transition énergétique
et de la décarbonation

En matière de décarbonation et de transition énergétique, l’hydrogène est actuellement l’objet d’une atten-
tion particulière. Replacé dans la perspective, à horizon 2050, d’une fin programmée des énergies fossiles, ce
double objectif est en fait dépendant de la capacité à mobiliser tout le potentiel des énergies peu émettrices
de gaz à effet de serre (GES), au premier rang desquelles on trouve le solaire photovoltaïque, l’éolien et le
nucléaire. Cela appelle plusieurs commentaires.

Figure 3 : Performances des diverses technologies de cellules photovoltaïques depuis 1975 (Source : https://www.nrel.gov/pv/assets/pdfs/best-research-cell-efficiencies.pdf).
Figure 4 : Rendement de la chaîne hydrogène – cas du “power to H2 to power” (Source : ADEME, voir https://www.connais-sancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-pt-vue/rendement-chaine-h2_fiche-technique-02-2020.pdf).

Une production d’hydrogène
au service de la transition énergétique

Il y a tout d’abord la question de la production d’hydrogène, dont on sait qu’elle est affectée d’un ren-
dement inférieur à l’unité, comme illustré par la Figure 4 ci-dessus dans le cas d’une application “power to H2 to power”.

D’une manière générale, les applications énergétiques basées sur l’hydrogène, s’avèrent très contraintes par
le rendement énergétique des conversions successives. Comme cela a été rappelé plus haut, cela n’est
guère surprenant compte tenu des rendements associés aux processus de conversion énergétique, systé-
matiquement inférieurs à l’unité. Ainsi, dans la mesure où les meilleures technologies ne permettent pas
d’envisager des rendements de la chaîne « électricité-hydrogène-électricité » supérieurs à 30 %, l’EROI
associé à cette chaîne ne peut donc guère dépasser 0,3:1.

On se retrouve ainsi dans le cas de figure, évoqué plus haut, d’un EROI inférieur à l’unité. Dans l’exemple
considéré ici, l’hydrogène a de fait un rôle de vecteur énergétique11, où production et consommation sont
séparées par une étape intermédiaire de stockage, permettant notamment le transport de l’énergie, soit,
majoritairement, directement sous forme d’hydrogène (hydrogène comprimé, ou cryogénique), soit sous
forme d’ammoniac (NH3), cette solution s’avérant très prometteuse. Ceci permet, entre autres, de pallier les
inconvénients du caractère intermittent des énergies renouvelables de type photovoltaïque et éolien.

Mais la production d’hydrogène peut également avoir pour but de fournir un carburant décarboné pour des
moyens de transport difficilement envisageables sur la seule base d’une utilisation de l’électricité, comme c’est le cas de l’aérien. Notons que la nécessité d’une telle transition de ce secteur vers des énergies décarbonées justifie, comme on a pu le voir plus haut, de passer par un processus de conversion pénalisé par un rendement inférieur à 1, et donc un EROI inférieur à l’unité, pourvu que l’on dispose par ailleurs d’une source énergétique pouvant dégager une marge suffisante permettant de compenser la perte d’énergie correspondant à ce rendement.

Une production d’hydrogène
au service de la décarbonation

La question de l’utilisation de l’hydrogène dans le processus de décarbonation évoqué ci-dessus à propos
des carburants participe en fait d’une stratégie plus large englobant les processus industriels les plus
émetteurs, la priorité étant de décarboner l’hydrogène à usage industriel (raffineries, engrais, sidérurgie).
Cependant, à ce jour, la production d’hydrogène reste encore fortement dépendante des énergies fossiles,
avec un taux de production de l’ordre de 95 % obtenu à partir du méthane. Le chemin vers la décarbonation
totale de l’hydrogène est donc encore long12.

À terme cela passera par une production d’hydrogène entièrement basée sur des énergies faiblement car-
bonées, telles que le nucléaire, le photovoltaïque et l’éolien, sans oublier la grande hydroélectricité. Mais on
retrouve ici la même difficulté que celle évoquée plus haut avec le photovoltaïque, où était pointé le néces-
saire découplage entre production électrique et énergies fossiles, ceci afin de parvenir à une réduction dras-
tique des GES, tout en procurant un socle énergétique suffisant pour assurer le fonctionnement des rouages
de l’économie, et répondre ainsi à ses besoins.

Une transition énergétique
et bas-carbone qui s’avère délicate

Si l’on excepte la possibilité de développer les technologies de type CCS (Carbon capture and storage,
soit en français : Captage et stockage du carbone ) ou CCUS (Carbon capture, utilization and Storage, soit en
français : Captage, utilisation et stockage du carbone) qui ont d’ores et déjà donné lieu à l’implantation de
quelques dizaines d’installations à travers le monde, la disparition à terme des énergies fossiles du mix éner-
gétique, qu’elle soit programmée au regard des enjeux climatiques, ou imposée in fine par la géologie, nous
conduit à un mix énergétique composé de technologies bas-carbone, dont le solaire photovoltaïque et
thermique ; l’éolien ; l’hydroélectricité, la biomasse et le nucléaire.

La double stratégie de transition énergétique et de décarbonation de l’économie suppose bien sûr, comme
souligné plus haut, de disposer d’une, ou plusieurs formes d’énergie externes présentant, d’une part, un
EROI largement supérieur à l’unité, et d’autre part d’être disponible en quantité suffisante en entrée du
système énergétique, de manière à dégager un bilan net en énergie13 propre à assurer le fonctionnement
de l’économie dans tous ses compartiments. Il faut de surcroît que ces énergies soient faiblement carbonées,
ce qui laisse peu de candidats en lice pour réaliser ce double objectif.

Parmi ceux-ci on a vu que le photovoltaïque présente finalement peu de marge de manœuvre sur le plan
énergétique. Par ailleurs son implémentation à l’échelle mondiale reste encore très dépendante des énergies
fossiles. En conséquence, la suppression de ces dernières du paysage énergétique mondial dégraderait un
peu plus les performances de ce système énergétique.

S’agissant de l’éolien, aucune étude similaire à celle menée par Pedro Prieto et Charles Hall n’a pu être
repérée par l’auteur de ces lignes. Néanmoins, on peut relever au moins un point commun avec le photovol-
taïque, à savoir la dépendance forte existant à ce jour vis-à-vis des fossiles. Pour ce qui concerne l’EROI, les
meilleures évaluations (autour de 15 pour l’éolien terrestre) placent l’éolien à des niveaux similaires au pho-
tovoltaïque. Une étude approfondie, similaire à celle de Prieto et Hall pour le photovoltaïque, serait cependant nécessaire pour une évaluation plus fine des possibilités de l’éolien dans la perspective de la transition énergétique et bas-carbone.

Enfin, il reste bien sûr à considérer le potentiel du nucléaire dans cette même perspective de transi-
tion énergétique et bas-carbone. Le point de vue de l’auteur de ces lignes est qu’il ne faut surtout pas négli-
ger la transition des technologies de réacteurs à neutron thermiques, largement dominantes au niveau mondial à ce jour, pour aller vers des technologies de réacteurs à neutrons rapides. C’est à dire14 passer d’une exploitation de l’235U, à celle de 238U capable à la fois de centupler les perspectives énergétiques du nucléaire sur le long terme, mais aussi de diminuer drastiquement les émissions de GES.

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